Société
Voir au-delà du quartier
3 février 2016
© Steven Copias
Bilal vient d'un quartier dit « difficile », celui de Versailles à Neder-Over-Heembeek. Pourtant pour lui pas de doute : Bruxelles la multiculturelle est pleine d'enseignements et d'opportunités. Cependant, trouver la confiance nécessaire pour s'aventurer hors de chez soi n'est pas toujours une mince affaire… Pour une jeunesse désabusée et se sentant souvent délaissée, les associations ont alors un rôle primordial d'accompagnement.
« Bruxellois avant tout »
Bilal est quelqu’un de dynamique, qui parle de sa vie avec facilité, entrain et conviction. Une personne habituée à agir, à prendre son existence en main. Cela se voit, et cela s’entend. À 26 ans, il a déjà vécu plusieurs vies, pour le meilleur mais aussi, parfois, pour le pire.
Bilal a donc grandi à « Versailles », « entouré de Latinos, d’Africains, de Chinois, de Polonais, de Belges… ». Né en Belgique de parents originaires du Maroc, il se sent belge avant tout :
« Ma mère est arrivée ici très jeune, elle a fait des études ici, et moi j’ai toujours vécu en Belgique. On est Bruxellois, on est installé ici. On sait d’où on vient, on connait nos origines, mais ça ne nous empêche pas d’être Belges, d’être adaptés au système. »
Dès son enfance, Bilal est donc confronté à un véritable brassage des cultures. Très sociable, il va vers les autres, car il sent que c’est la clé de l’apprentissage.
« J’ai ma culture, mais je suis aussi ouvert, je prends le temps d’écouter. J’aime bien mélanger, m’adapter aux gens pour mieux les comprendre, savoir comment ils voient les choses. Au final on a tous plus ou moins le même style de vie. »
« Un besoin d’évoluer »
Adolescent, Bilal est passionné de breakdance mais une carrière dans le milieu de la danse ne lui semble pas envisageable. Peu intéressé par l’école, il souhaite gagner son indépendance en travaillant. Le décès de son père précipite les choses : Bilal est très affecté et se sent « perdu. Je ne trouvais plus ma place ici, j’étais loin, je ne pensais plus comme avant ». Aîné d’une fratrie de cinq enfants, il se sent responsable du foyer familial et profite d’une opportunité qui lui est faite de travailler en Espagne.
Un séjour hispanique de trois années s’en suit, qui permet à Bilal et à sa curiosité de découvrir une nouvelle culture et une nouvelle langue et lui donne l’opportunité de panser ses blessures. Il confronte ses idées à d’autres, s’installe dans un appartement, expérimente une autre manière de vivre.
« Dans la vie, ce n’est pas en restant sur place que tu vas avancer. En parlant avec d’autres personnes, en voyageant, tu évolues : tu te rends compte de ce que tu as, de ce que tu veux, et de ce que tu dois faire pour y arriver ».
L’Espagne, le soleil, des personnes ouvertes et festives, la réflexion… Mais, aussi enrichissante soit-elle, l’expérience espagnole prend brutalement fin avec la crise économique et le manque de revenus. Le retour en Belgique, où Bilal sait qu’il sera soutenu par sa famille et ses amis, est inéluctable.
« Volonté et courage » face à un contexte déstabilisant
Cette suite d’évènements amène Bilal à croiser la route d’Art2Work. À son retour dans le quartier de « Versailles », il cherche du travail mais sans succès. Heureusement, il se sent soutenu par les aides sociales belges dont il n’a pas trouvé l’équivalent en Espagne.
« Je suis revenu dans un monde où j’ai vu que si tu ne travailles pas tu ne t’en sors pas, donc après il faut un minimum de volonté et de courage ».
Bilal ne baisse pas les bras et reste motivé, malgré un contexte plutôt défavorable : le chômage touche en effet près de 19 % de la population active bruxelloise (notamment les jeunes et les personnes peu qualifiées)[1].
Inscrit au CPAS sous l’article 60, Bilal suit les conseils de son assistante sociale et obtient un contrat d’un an chez Art2Work. Basée dans la commune de Molenbeek, l’association œuvre dans le domaine de l'insertion socioprofessionnelle. Elle encadre et oriente des jeunes et leur permet de suivre des formations dans des domaines divers, afin qu’ils puissent ensuite trouver un emploi qui leur convienne. Bilal a tout de suite « sauté sur l’occasion. Je me suis dit c’est ce qu’il me faut, un suivi, quelqu’un qui est avec moi, qui me propose des choses, qui essaye de m’aider à développer ce que j’ai envie de faire ».
Embauché comme technicien du spectacle, son travail consiste à monter des scènes, installer du matériel audiovisuel ou encore préparer des salles. À ses côtés, l’association emploie sept autres techniciens avec qui il peut partager ses expériences. Surtout, Art2Work permet à Bilal de suivre des formations en néerlandais, en informatique ainsi que pour passer son permis de conduire. Trois atouts indéniables pour un futur employeur :
« À la signature du contrat on te garantit ces trois formations. Après tu as la possibilité de choisir une autre formation qui serait intéressante pour toi, pour que tu puisses te diriger vers quelque chose que tu aimes bien et que tu puisses te débrouiller seul, sans forcément passer par des ASBL ».
« La chance d’avoir un suivi »
Autre aspect essentiel de sa relation avec Art2Work, Bilal dispose d’un suivi permanent. Il est accompagné d’une job-coach qui l’assiste dans ses démarches pour trouver des formations et l’emploi idéal pour lui. Elle le conseille quant aux bonnes opportunités à suivre pour concrétiser son projet professionnel. Le plus important ?
« Elle me pousse à faire des choses que je ne ferais pas tout seul ».
Un suivi qui le cadre, et qu’il n’a pas toujours eu étant adolescent : « Quand tu es gamin, tu ne sais pas réfléchir comme un adulte, tu ne sais pas ce que tu veux faire, t’es perdu. Les parents t’éduquent bien mais ils n’ont pas vraiment le temps, parce qu’ils essaient de s’en sortir. Ma mère ne travaille pas, toute seule elle a eu du mal à éduquer cinq enfants. On n’avait personne derrière pour nous suivre, pour nous dire ‘va à l’école, fais ci, fais ça’. On était un peu livré à nous-mêmes quoi ».
Grâce à Art2Work, Bilal a désormais une idée plus claire de son avenir. Intéressé par le secteur de la musique et du son, il n’exclut pas non plus de retrouver le secteur de l’animation.
« On peut aider les jeunes à trouver le bon chemin »
Selon Bilal, l’encadrement que lui donne Art2Work est une chance qui fait parfois défaut à la jeunesse d’aujourd’hui : « Avant à Versailles on avait une maison de jeunes, c’était tout ce qu’on avait pour s’évader du vrai monde. Il y avait des écoles de devoirs, il y avait plein de choses comme cela. Maintenant avec ce qu’il se passe les gens ont peur, la maison de jeunes n’est jamais ouverte ». Il craint dès lors que les jeunes qui restent dans la rue ne tombent sous de mauvaises influences.
Ce manque de suivi renforce le sentiment d’abandon ressenti par les jeunes d’origine étrangère qui appréhendent déjà les discriminations [2]. Mais, pour Bilal l’optimiste, vivre dans une zone "sensible" n’est pas une fatalité :
« Ce que tu veux faire, il faut se battre pour le faire, il faut être courageux, il faut travailler quoi ! Le travail est pour tout le monde, il faut prouver que tu peux le faire mieux qu’un autre ».
Comment faire dès lors pour encourager les jeunes de ces quartiers à ne pas renoncer, malgré les difficultés et discriminations auxquelles ils devront faire face ? Tout d’abord, selon Bilal, en faisant preuve de patience et en étant à leur écoute.
« C’est parfois dur de travailler avec des jeunes, surtout de quartiers difficiles, mais si tu arrives à leur expliquer comment fonctionne la vie, ça peut les aider à trouver le bon chemin. Il faut leur proposer du travail, leur montrer qu’ils ne sont pas à l’abandon et qu’il y a des gens derrière eux, que le système est adapté pour tout le monde et pas que pour une certaine catégorie de gens. »
Mais aussi en ne déplaçant pas sur les jeunes ce qui relève d’une responsabilité collective, à savoir la création d’emploi. Aujourd’hui, l’article 60 dont nous parle Bilal, qui permet d’employer chaque année près d’un millier de travailleurs bruxellois peu qualifiés, est un outil sur la sellette. Faute de moyens, sa disparition entraînerait le retour à la précarité de centaines de foyers. Son maintien est donc primordial, tout comme celui des budgets d’aide à la formation, notamment via des structures associatives d’accompagnement comme Art2Work.
« Sortir du quartier »
Plus généralement, pour combattre les discriminations, Bilal considère qu’il faut dialoguer et dépasser les barrières culturelles, en créant des organisations capables de rassembler des individus aux origines diverses. C’est d’ailleurs le cas de MagMA, qui au travers de ses articles cherche à rassembler et faire voler en éclats les préjugés ! Mais, pour être efficace, ce type d’initiative doit être relayé et diffusé par chacun. Bilal conseille également aux gens
« de voyager, sortir de leur quartier. Par exemple j’ai des amis africains donc on va à Matonge, j’apprends leur culture, je découvre leur milieu, la rumba et le coupé-décalé » (rires) !
En ce début d’année, nous souhaitons tous que les évènements des dernières semaines ne se reproduisent pas. Que la jeunesse dans son ensemble bénéficie de « plus de suivi et de moins de préjugés ». Que les peuples du monde parviennent enfin à cohabiter malgré leurs différences. Qu’ils prennent exemple sur Bruxelles, décriée au cours des dernières semaines, mais qui symbolise parfaitement les creusets culturels que sont les grandes capitales mondiales. Le mot de la fin pour Bilal, qui parle justement de sa ville:
« À Bruxelles il y a beaucoup de cultures, c’est vraiment mélangé. C’est une ville où j’ai appris plein de choses sans forcément voyager ! J’ai appris à connaître des langues, des coutumes… C’est ce qui est bien ici ! ». Voyagez légers… pas besoin de valises pour changer de quartier !
Pour aller plus loin et en savoir plus sur la démarche d’Art2Work, le site web de l’association > http://www.art2work.be/
[1] http://www.rtbf.be/info/regions/detail_le-taux-de-chomage-sous-les-19-a-bruxelles-du-jamais-vu-depuis-six-ans?id=8973260
[2] Pour rappel, le Baromètre de la Diversité – Emploi 2012 ainsi que le Monitoring socio-économique 2015 ont montré qu’il était plus difficile pour les jeunes d’origines turque et marocaine (y compris de la deuxième et de la troisième génération) de trouver un emploi que pour des jeunes d’origine belge, et qu’ils étaient souvent cantonnés à des secteurs peu rémunérateurs.
Centre Interfédéral pour l’Egalité des Chances http://www.diversite.be/diversiteit/files/File/Barometer/Werk/FR/Resume%20Barometre%20de%20la%20Diversite%20Emploi.pd
Centre Interfédéral pour l’égalité des chances et SPf emploi: http://www.emploi.belgique.be/publicationDefault.aspx?id=44125
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