Société
Une poudrière comme maison
29 mars 2019
© La Poudrière
Et si du jour au lendemain, vous décidiez de changer de vie ? De vivre dans une énorme baraque avec vos quatre potes : infortune, amitié, solidarité et partage… Ce serait le pied non ? Puisque rien n’est impossible, Éric Degimbe a tenté l’expérience. Il s’est prêté au jeu et a posé ses valises là où les valeurs qu’il avait toujours défendues se concentraient le plus. Un mode de vie non traditionnel en communauté, qu’il nous raconte avec sincérité.
Bruxelles. Ville européenne où tous les jours des milliers de personnes se croisent. Des personnes aux origines, religions et situations différentes, qui, dès le petit matin accélèrent le pas. Puisqu’il y a des factures à gérer, des tâches à réaliser, des crises à éviter. Des crises comme celles qui touchent le monde. Elles sont multiples et toxiques pour les futures générations et brutales pour une bonne partie de la population. Logement, climat, famine, individualisme,… Et j’en passe. « Liberté, égalité, fraternité » réclament haut et fort nos voisins Français… Et, à raison ! Aujourd’hui, le communisme basé sur l’égalité n’a pas fonctionné puisque plus de 82 % de la richesse mondiale va au 1% les plus riches. Le capitalisme qui semble promouvoir la liberté ne semble pas non plus répondre aux besoins de la majorité. Que reste-t-il ? La fraternité.
« L’erreur aurait été de ne pas essayer ! »
Nous avons tous en tête l’image d’une famille traditionnelle : un père, une mère, des enfants et une éducation qui varie d’une maison à une autre. Éric a connu ce même schéma dès son plus jeune âge. Une éducation libre, dans une famille chrétienne pratiquante. Comme beaucoup de jeunes encore aujourd’hui, il a eu l’opportunité de faire partie du mouvement de jeunesse mondial qu’est le scoutisme. Un mouvement qui repose sur l’apprentissage de valeurs fortes telles que la solidarité, l’entraide et le respect…
Ensuite, il s’est formé dans une école polytechnique en tant qu’ingénieur civil mécanicien. Un parcours classique comme son mode de vie d’ailleurs… Alors, pourquoi ne pas y rester ?
C’est notamment après avoir passé trois années comme objecteur de conscience en Tanzanie, pays du socialisme africain, que la recherche d’une vie alternative a germé dans son esprit. L’objection de conscience est une « attitude individuelle de refus d’accomplir certains actes demandés par une autorité lorsqu’ils sont jugés en contradiction avec des convictions intimes ». Cet engagement souvent mûrement réfléchi s’inscrit dans la lignée de la liberté de conscience. Par cette recherche de soi et de sens, il se retrouve en 1990 au sein de la communauté bruxelloise, « La Poudrière ».
« L’école forme mais il est tout aussi important de grandir autrement.
Au sein de la communauté, j’ai trouvé un équilibre que je recherchais depuis longtemps. »
La communauté de la Poudrière existe depuis 1958. C’est grâce à deux prêtres – le Père Aimé et le Père Léon – et à un couple qui les rejoint, que le projet voit le jour. Un projet qui a pour but de mettre en commun la vie de personnes en difficulté et d’autres qui ne le sont pas ou beaucoup moins. Comment ? Par des repas préparés et partagés ensemble, un travail commun ainsi qu’un logement commun comme lieu de résidence. Aujourd’hui, une soixantaine de personnes vivent ensemble sur 3 lieux géographiques : Bruxelles, Rummen et Péruwelz. La communauté gère de plus deux magasins, lesquels proposent vêtements et objets de seconde main. Grâce à ces magasins, La Poudrière lutte entre autres contre le gaspillage et pour un développement durable. |
Moi, c’est l’autre. L’autre, c’est moi
Chaque journée est une nouvelle aventure pour Éric. Un challenge rempli de tâches, de partages mais aussi de concessions. Des concessions utiles pour le groupe qui entraînent l’esprit à plus de patience et d’écoute : « Nous sommes tous différents même si nous partageons une âme commune. Il y a des athées, des musulmans, des bouddhistes, des plus pauvres que d’autres, des célibataires, des jeunes comme des moins jeunes et bien d’autres encore. Prendre une décision en groupe peut s’avérer être une tâche difficile puisqu’il faut s’accorder les uns aux autres. Une décision qui pourrait être prise en peu de temps dans une famille classique peut prendre plus de temps chez nous puisqu’il faut conjuguer avec les spécificités de chacun. C’est plus long mais tellement jouissif quand on y arrive…. ».
Une écoute de l’autre, primordiale pour l’équilibre d’Éric. En effet, si son rôle principal est de coordonner les activités et d’entretenir les bâtiments au sein de la communauté, il en ressort aussi que ce mode de vie “extraordinaire” lui permet d’évoluer en tant que personne. Un « je » non pas figé comme une statue mais en perpétuel mouvement, grâce aux autres : « Dans tout partage, il y a au moins deux sujets : celui qui donne et celui qui reçoit. Aujourd’hui, je ressens mon équilibre en donnant aux autres mais en recevant aussi de leur part. J’ai beaucoup évolué notamment sur ma conception de la foi … Je suis catholique et le fait de côtoyer des personnes aux croyances qui divergent m’a fait ouvrir les yeux et réfléchir sur la société. Je ne pourrais pas vivre une vie de bureau aujourd’hui. C’est impossible. Ici, il n’y a pas de propriétaire… Nous partageons ce que nous avons et ce que l’on est tout en ayant du temps et de l’espace pour nous».
Si parfois Éric ressent le besoin de se couper de la communauté quelques jours pour rendre visite à des proches, il est conscient de la chance qu’il a d’être accompagné de sa femme Sylvie et de ses deux filles : « Je ne sais pas si mes filles resteront dans la communauté aussi longtemps que moi, mais je sais qu’elles respectent et prennent à cœur les valeurs qui y sont véhiculées. J’ai beaucoup de chance d’être entouré de ma famille ce qui, j’en ai conscience, n’est pas le cas de tous. Je n’aurais pas aimé être obligé de faire un choix… Je respecte tout aussi bien ceux qui ne peuvent imaginer vivre une vie comme la nôtre. »
Un mode de vie à la fois simple et complexe qui semble répondre aux besoins actuels de nos sociétés. Entre le partage, une utopie totalement assumée, l’unité et le non-gaspillage.
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Avec le soutien de la Fondation Roi Baudouin
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