Société
Une occupation précaire et solidaire
29 mars 2019
© Ruth Grâce Paluku-Atoka
Choupi vit dans une occupation précaire à Molenbeek-Saint-Jean. Ce n’est pas une histoire de grande précarité, mais de recherche de bonheur et de cohérence avec ses propres valeurs.
Samedi après-midi, l’une des habitant·e·s m’ouvre la porte de cette grande maison de maître. Tout le monde est emmitouflé dans des couches de pulls. Il fait froid mais l’ambiance y est toujours chaleureuse. Pas de portes closes entre le salon, la salle à manger et la cuisine. Tout est grand ouvert, chaque personne présente vaque à ses occupations : lire un manga, manger un yaourt, profiter de la luminosité qui traverse les grandes fenêtres de la cuisine.
Choupi (nom d’emprunt) a 21 ans. Iel n’a jamais aspiré à vivre selon les normes sociales : étudier, travailler, avoir une maison. Avant de vivre dans un squat, Choupi a commencé des études en sociologie et anthropologie. Durant cette période, iel fait la rencontre d’un ami qui cherche un squat et iel s’intéresse alors à cette manière de vivre par choix ou non. Son aspiration : « faire autre chose de sa vie que travailler.» Son objectif : trouver d’autres « moyens de débrouille ». D’autres manières de répondre à ses besoins : se nourrir, se vêtir, socialiser. Dans cette occupation et les précédents squats qu’iel a fréquentés, Choupi s’épanouit. Iel décide de vivre dans un logement occupé ou squatté.
Après plusieurs discussions, sa famille comprend son choix de vie et lui fait confiance (ce n’est pas le cas de tous les membres du squat). L’une des motivations principales reste le fait de vivre « avec des gens que tu connais un peu, que tu aimes et avec qui tu partages surtout une forte affinité politique » explique un membre du groupe. Pour lui « vivre en occupation, ça a tendance à changer tout le quotidien. Ce n’est pas juste un endroit, un lieu. Ce sont des manières de vivre », de s’organiser, en dehors du travail.
« Une occupation c’est un peu une pratique de la solidarité »
Cette affinité se traduit dans l’organisation du groupe qui occupe la maison. Le collectif se nourrit majoritairement de nourriture récupérée, d’invendus de magasins. Dans la maison, on ne tolère aucune forme de discrimination. Lorsqu’un conflit éclate, on dialogue. Le groupe se réunit pour répondre aux besoins de chacun et chacune.
Une occupation précaire, c’est une occupation d’un bâtiment vide qui, contrairement au squat, est négociée avec le ou la propriétaire. Les habitant·e·s s’engagent dans une convention à payer les charges (eau, électricité…) et à réaliser des travaux. Ce type d’occupation accorde aux habitant·e·s « plus de sécurité, mais moins de liberté » nous explique un membre du collectif. En effet, pour négocier une convention d’occupation précaire, il faut avoir des papiers. Il faut maîtriser la langue française, connaître quelques notions juridiques liées à l’écriture d’une convention. Il faut savoir négocier également pour ne pas juste répondre aux injonctions d’un·e propriétaire. Tout cela nécessite un capital culturel et intellectuel important. Ce n’est pas le cas de toutes les personnes qui souhaiteraient occuper des bâtiments vides, se loger. A cela s’ajoute la loi dite « anti-squat » qui réprime maintenant pénalement le squat, l’occupation “sauvage”.
Lors de la création de cette occupation, Choupi et ses ami·e·s ont été à la rencontre du propriétaire de la maison. Celui-ci était étonné de ne pas rencontrer « des Arabes », selon ses dires. Le fait que Choupi et ses amis soient blancs a permis d’obtenir de pouvoir occuper cette maison, de créer un lien de confiance avec le propriétaire. Le groupe a été jusqu’à rencontrer la famille du propriétaire, sa femme et ses enfants et a également aidé le propriétaire à déménager les quelques affaires qui avaient été abandonnées dans la maison depuis quelques années. Si ce n’était pas pour reloger d’autres personnes, il aurait été inconcevable pour Choupi de négocier avec un propriétaire qui tenait des propos racistes.
En effet, parallèlement à la négociation de la convention d’occupation précaire de cette maison, le Centre Social Anarchiste, un squat situé près de Bruxelles-Luxembourg, était en cours d’expulsion. Pour le groupe, il était donc important de faire usage de leurs privilèges pour obtenir une convention d’occupation de cette maison permettant de reloger certaines personnes expulsées de l’ancien squat.
Choupi est très conscient du quartier dans lequel l’occupation s’insère. Iel voit dans leur présence une forme de gentrification du quartier. Et ce même si l’occupation n’est que temporaire.
Pour l’avenir, Choupi souhaite « acquérir des compétences », en menuiserie par exemple. Iel « s’impose son propre agenda ». Il est rempli par des choses qui lui semblent importantes pour son développement personnel, qui l’épanouissent. Iel se pose des questions pour augmenter ses ressources pour créer des lieux communs.
Des jeunes qui concrétisent leur conscience politique au quotidien
Cette rencontre m’a permis de faire connaissance avec des personnes, qui en dehors de tout cadre institutionnel, pratiquent leur vision de la solidarité et du vivre-ensemble. Au-delà des mots, le collectif expérimente des manières de vivre. Une façon de faire où les incertitudes ne sont pas sources de stress, d’angoisse mais d’espoir et de créativité.
Ce fut une rencontre riche en émotions, pleine de vulnérabilité. Loin des stéréotypes que véhiculent les films (drogue, violence…), j’ai plutôt rencontré des jeunes très conscient·e·s politiquement. Des personnes convaincues que nous méritons mieux comme fonctionnement de société. Plutôt qu’une société capitaliste où il faut toujours produire et consommer plus, le groupe récupère de la nourriture, transforme une maison abandonnée pendant plusieurs années. Plutôt que cultiver la haine des autres, on y accepte chaque personne telle qu’elle est : femme, queer, non-binaire, trans… Une forme de famille recomposée où on s’aime, on s’apprécie, on s’entraide… Cette rencontre fut également chargée en émotions. Une grande part des échanges avec Choupi ne peut se retrouver ici, mais j'ai ressenti une grande démonstration de force et de fragilité. Une personne très touchante dont la conscience et les paroles ne peuvent vous laisser indifférente.
Ruth Grâce PALUKU-ATOKA
Avec le soutien de la Fondation Roi Baudoin
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