Société
Regards croisés sur le logement social bruxellois
8 décembre 2017
© Marie De Sloover
Dans le but de comprendre la vie en logement social, voici deux points de vue : celui plus personnel et intime de Nora qui a vécu la majorité de son enfance et de son adolescence en logement social dans le grand centre de Bruxelles ; et celui plus extérieur et professionnel de Claire, qui réalise un travail social communautaire avec les locataires des logements sociaux dans le quartier Annessens.
Pour Nora, la vie en logement social rime avec communauté et solidarité, elle représente de bons souvenirs d'enfance partagés avec les familles voisines. Et même si aujourd'hui elle n'y vit plus, comme beaucoup de jeunes elle y retourne très régulièrement pour visiter ses parents et y croiser des amis.
Pour Claire, coordinatrice du plan de cohésion sociale “Potiers-Vautour” réalisé par l'asbl Habitat et Rénovation[1], dans le quartier Annessens, la priorité est de renforcer et nourrir le lien social entre locataires des logements sociaux, tout en les soutenant dans leurs différents projets qui visent à améliorer, par petits ou grands pas, leur vie de tous les jours.
Un lieu de vie communautaire
Nora est une jeune femme active et indépendante de 24 ans. Ses journées sont partagées entre son travail dans l'administration publique et son hobby de photographe. Lorsqu’elle me parle de ses liens avec les logements sociaux, elle retrace son parcours de vie.
Arrivée dans ce qu’elle appelle “le social” à l'âge de 5 ans, Nora et ses parents ont accédé à ce type d’habitat après s’être inscrits comme candidats sur une liste d’attente auprès de leur commune. L’appartement qui leur est alloué alors est un duplex au troisième étage d'un bâtiment de 12 appartements. En comparaison avec d'autres logements sociaux, l’appartement était plutôt grand avec un large salon et 4 chambres ; chacun a donc son espace, ce qui peut être précieux quand on est adolescent !
En écoutant le récit de Nora, on se rend compte que grandir dans des logements dits “sociaux” n'est pas si différent selon certains aspects que dans des logements “privés”, c’est-à-dire appartenant à un propriétaire privé, ce qui représente le chemin habituel et majoritaire pour la plupart des gens vers la location.
Ici , me dit-elle, en parlant des logements sociaux: “l'ambiance est très familiale, une réelle entraide entre voisins existe. Ça t'apprend à connaître plein de gens, quand tu es dans une maison : dans le privé, tu connais tes deux voisins et c'est tout. “
Les problèmes de réparations et d'infrastructure
Bien que l'expérience de Nora et de sa famille soit globalement positive, n'oublions pas que “ le social, c'est le social ! “ me dit-elle. Autrement dit, tout n'est pas rose, et même si la famille de Nora a pu être logée dans un appartement suffisamment spacieux et en bon état, ce n'est certainement pas le cas de tout le monde, comme Claire le démontre plus bas dans le cas des locataires du plan Potiers-Vautour. Nora m’explique, par exemple, que, certaines réparations nécessaires dans l'habitation peuvent parfois prendre beaucoup de temps. Elle me confie une de ces situations vécues avec sa famille :
“Nous et le reste du bâtiment n'avons pas eu accès à l'eau chaude pendant plusieurs mois, le temps que la société de logement constate effectivement le problème et réagisse. Dans le privé, ça va plus vite ! “.
L’exemple donné par Nora fait écho au récit de Claire lorsqu’elle me parle de son expérience avec les locataires des logements Potiers-Vautour. Il faut savoir que Claire, coordinatrice du PCS[2], s'occupe principalement de la gestion des projets réalisés avec les habitants, que ce soit pour l'amélioration de l’aménagement de leur espace de vie commun, la prise en charge d’un problème global pratique, ou encore l’organisation des événements qui participent à la vie de communauté. Son collègue Ilyas, lui, travaille comme animateur avec des enfants. Tous les deux forment une équipe solide et se soutiennent dans leurs activités respectives.
Pour Claire, la problématique principale qui traverse ces logements sociaux tourne autour de l'état des logements en soi, matérialisé par des gros problèmes d'humidité et de manque d'espace.
Cette problématique est au coeur des discussions entre Claire et les locataires de cet espace. La société de logement connait bien ces differentes plaintes mais elle ne possède pas toujours le budget nécessaire (qui provient de la Région) pour les rénovations lourdes. Cela a pour effet un changement très lent ou inexistant. En fait, m'explique Claire, dans le cas du centre-ville bruxellois : “ le réel problème est que le parc immobilier du logement social est en très mauvais état, comprenant surtout de vieux bâtiments, dont une grande partie devrait dans l'idéal être rasée pour être mieux reconstruite “.[3]
Une approche par le travail social communautaire
Par le biais de Claire et Ilyas, l’asbl Habitat et Rénovation, travaille avec les habitants sur de nombreux petits projets touchant à leur vie quotidienne.
« Ce sont des projets qui, de l'extérieur, ont l'air parfois petits et peu importants, mais pour un projet de cohésion sociale, ça entre vraiment dans notre dynamique de projet social communautaire : les habitants ont émis un besoin, ils ont fait eux-mêmes le diagnostic et la proposition, et ce sont eux qui ont choisi la manière de la réaliser. Et ça, ça améliore vraiment le quotidien ».
Ils fonctionnent donc selon une méthodologie précise, celle du « travail social communautaire » :
“On part toujours des demandes et des besoins des habitants “,
Et puisque Claire et Ilyas travaillent sur leur lieu de vie, ils les croisent et discutent informellement tous les jours, ce qui crée du lien social entre eux, de la confiance et donc une identification plus facile de leurs besoins.
Certains habitants ont aussi bien compris cette dynamique et n'hésitent pas à venir vers eux pour discuter d'un problème ou d'un projet susceptible d'améliorer leur cadre de vie. Claire et Ilyas servent alors de soutien, l'idée n'étant pas de faire le projet à la place des premiers concernés, mais que les habitants soient les principaux participants tout au long du processus.
Par exemple, l'année passée, les habitants se sont complètement réapproprié leur cour intérieure. Les mamans du quartier ont constaté qu’il n’y avait pas assez d’espaces disponibles pour s’asseoir, elles ne pouvaient donc pas surveiller leurs enfants, ce qui provoquait d’importantes nuisances sonores. Les habitants ont alors décidé d'installer un banc fleuri, avec l'aide du Mode And Design Lab, qui a pour mission de réaliser du design participatif. En parallèle à cela, les enfants du quartier ont repensé la cour, et comme beaucoup la trouvaient triste, ils ont travaillé avec des artistes pour y mettre de la couleur ; en dessinant sur les colonnes et en peignant une grande fresque sur le mur.
D’autres projets ont vu le jour au cours de ces dernières années, comme l'installation d'un local vélos/poussettes géré par les habitants, l’organisation de fêtes d'anniversaire collectives tous les deux mois, et la création d’une boutique de vêtements de seconde main.
Finalement tous ces petits projets constituent des améliorations dans le quotidien des locataires, tout en participant à la création de liens sociaux et en faisant naître plus de solidarité entre eux. Toutes ces initiatives donnent l’opportunité d’aboutir à un agir collectif face à des problèmes ou des besoins communs.
La difficile sortie du “social”
Malgré les problèmes auxquels les locataires du logement social font face, des initiatives pour les soutenir et les aider au quotidien existent, grâce à l’accompagnement des Plans de Cohésion Social (PCS)[4] notamment, car ils participent à l'amélioration de leur cadre de vie. Mais qu’en est-il de l'accessibilité au logement social lui-même et de la vie en dehors des habitations sociales quand on n’a connu que ce type de logement ?
À l'âge de 21 ans, Nora est entrée dans la vie active grâce à son premier contrat de travail, et comme d'autres jeunes, elle s'est alors retrouvée malgré elle dans l'obligation pratique de déménager de chez ses parents, pour se domicilier ailleurs. En effet, quand on vit en logement social, le loyer varie en fonction de différents facteurs, dont le principal est les revenus cumulés du ménage. Or, quand Nora a décroché son premier boulot, les revenus du ménage ont augmenté proportionnellement au montant de son salaire, ce qui a eu pour conséquence, l'année suivante, de faire augmenter considérablement le loyer demandé à la famille de Nora. Celle-ci ne pouvant assumer financièrement ce nouveau loyer, bien plus élevé que prévu, elle s'est hâtée de trouver un nouveau logement pour faire diminuer le loyer de ses parents.
“J'ai été chassée, si on peut dire ça comme ça“.
Heureusement, Nora a eu la chance de trouver un logement correspondant à ses moyens et surtout juste à deux pas de chez ses parents.
L'accessibilité au logement social
Plus largement, sa situation pose la question de la relation entre le logement social et la recherche d'emploi. En théorie, le passage en logement social est censé être transitoire, juste un tremplin pendant quelques années pour donner le temps de se remettre en selle, avant de retourner dans le logement privé. C'est pourquoi, lorsque les revenus du ménage augmentent, souvent dans le cas où l'un des membres trouve un travail, le loyer explose ; car on estime alors que la situation n'est plus précaire et que le logement privé devient une possibilité. Or, ce point de vue ne tient pas compte des conditions peu stables du marché de l'emploi à l'heure actuelle.
“Il existe énormément de situations, où un membre du ménage décide de refuser un emploi, car même si celui-ci offre une plus grande rentrée d'argent sur le moment même, et permettrait une vie dans le privé, il faut se poser la question de la sécurité de l'emploi. Le travail intérimaire ou à durée déterminée, n'offre donc aucune sécurité dans le temps et pourrait alors faire vite replonger le ménage dans la précarité. Il se retrouverait alors au bas de la liste d'attente” m'explique Claire.
La “fameuse” liste d'attente renvoie à un problème bien connu et médiatisé : l'accessibilité au logement social. Ainsi, selon le site du logement bruxellois:
“ Plus de 40.000 candidats locataires attendent un logement social en Région de Bruxelles-Capitale. Le temps d’attente varie en fonction du type de logement mais, dans tous les cas, il est de plusieurs années” (de 7 ans à plus de 10 ans)[5] ”.
On le sait donc, aujourd'hui, le problème ne réside pas tant dans les critères d'accès au logement, mais dans le temps d'attente avant de pouvoir y emménager. Nora a fait sa demande à ses 18 ans, il y a maintenant 7 ans, et à l'époque déjà, on l'avait prévenue qu'à Bruxelles, ça prendrait environ 10 à 15 ans…
Repenser le logement social est nécessaire et urgent : développer des solutions pour diminuer la liste d'attente, créer des alternatives, diminuer les détours et interminables processus administratifs ; et aussi proposer des logements dans un état décent et adaptés à la situation du ménage. Il semble également logique de tenir compte de la conjoncture actuelle du marché du travail pour offrir de réelles perspectives d’autonomie, et non les rendre encore plus dépendants de l'aide sociale. En fait, il est temps de questionner et revisiter le système en place pour qu'il colle réellement aux situations concrètes vécues par les locataires. En attendant, des petites solutions émergent pour traiter directement ces problèmes, avec notamment le PCS Potiers-Vautour, qui propose une démarche participative avec les locataires, dans le but de renforcer leurs pouvoirs décisionnel et exécutif et de leur donner une voix.
[1]http://www.habitatetrenovation.be/category/projets-de-cohesion-sociale/ (consulté le 30/11/2017).
[2] Le but du Plan de Cohésion Sociale est avant tout l’amélioration du cadre de vie des locataires, en lien avec les besoins des quartiers et avec la participation des habitants. Le PCS se centre sur les objectifs suivants:
“• Développer ou renforcer le lien social
• Améliorer la communication entre locataires et entre locataires et société de logement social
• Mettre en œuvre les moyens nécessaires pour informer les habitants du contenu de leurs droits et devoirs et des moyens leur permettant d'en assurer le respect.
• Favoriser la participation des habitants ainsi qu’une cohabitation harmonieuse”
[3]http://www.vivreici.be/commune/1030/videos/detail_logements-sociaux-insalubres-a-bruxelles-10-02-2017?videoId=62458
[4] Les Projets de Cohésion Sociale (PCS) sont des dispositifs d’actions sociales communautaires subsidiés et encadrés par la Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale. Le PCS se situe dans un périmètre de logements sociaux tout en restant ouvert sur le quartier. http://www.slrb.irisnet.be/la-slrb/nos-missions/politiques-sociales/projets-de-cohesion-sociale-1
[5] https://logementbruxellois.be/candidat/attribution/ (consulté le 30/11/2017).
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