Société
Que peut-on faire face aux violences policières ? S’organiser !
8 janvier 2021 - par Jessie Tshiasuma
© Illustration réalisée par Jessie Tshiasuma
Pour aborder le thème des violences policières, Jessie a rencontré Isabelle N’diaye, résidente au Decoratelier – Toestand VZW et Hafsa. Tandis qu'Isabelle insiste sur l'importance de s'organiser pour mener des actions citoyennes, Hafsa semble plus résignée et rappelle que la plupart des policiers font simplement leur travail.
Jessie : qu'est-ce que vous pensez des violences policières ?
Isabelle : Déjà les mots "violences policières", on ne sait pas trop ce que ça veut dire. On ne sait pas si on parle de tuer des gens, comme dans le cas de George Floyd, Adil, Mehdi, Mawda, Sémira Adamu, Trevor Martin… Ou si on parle aussi du contrôle au faciès tous les jours dans la rue, plusieurs fois par jour, sur certaines personnes, qui, comme par hasard, sont des personnes qui portent plutôt des joggings, plutôt des personnes qui viennent des quartiers populaires, plutôt des personnes qui ont des origines africaines.
Avec ces mots "violences policières", on parle de la violence sur nos corps, quand quelqu’un va être tué ou quand ils vont nous contrôler tout le temps… Mais il y a aussi la violence du système policier, et du système juridique. C’est-à-dire, c’est très violent quand tu es une femme, ou un homme, une personne, victime d’agression sexuelle d’aller à la police pour porter plainte et que là, on nous dit "Ecoute, t’es une femme, comment t’étais habillée ? Si t’étais en jupe, peut-être que tu l’as mérité, peut-être que c’est toi qui a allumé les personnes ?". Et inversement, si c’est un homme on va lui dire "Oui mais vous êtes un homme, pourquoi vous ne savez pas vous défendre, êtes-vous homosexuel, si vous êtes homosexuel, c’est peut-être vous qui avez attiré cette personne…", ça aussi c’est une violence !
La police n’est pas la justice, or elle s’autorise parfois des prises de position, des a priori, des connotations, des raccourcis.
Et puis il y a encore d’autres violences : les différentes familles qui sont dans des processus judiciaires face aux violences policières que leurs fils ont subies, et en sont morts, ou leur fille dans le cas de Mawda, ce sont des familles qui sont frappées par plusieurs violences : le deuil, car ils ont perdu quelqu’un, mais aussi, les complications du système judiciaire : il faut se battre pour avoir accès à l’information. Ils tuent nos frères, nos fils, nos potes et en plus, ils ne doivent pas rendre des comptes.
On se retrouve à avoir la voix d’une famille face à la voix d’un système. Sachant que le système est fait de telle manière que la police protège la police. Si tu portes plainte contre la police, la police va chercher à défendre ses travailleurs et ne va pas chercher à défendre la justice.
Hafsa : On vit dans un monde rempli de personnes malhonnêtes et indisciplinées qui abusent de leur pouvoir. Actuellement, il y a toujours des clichés, des amalgames et des injustices des policiers par rapport aux citoyens. Il y a encore du travail à faire. Il est difficile de changer les choses car c'est beaucoup de gens qu’il faut éduquer. Au niveau de la violence envers la police, elle est injuste car la plupart d’entre eux sont des personnes qui font leur travail. Mais les citoyens aiment leur liberté ! Exemple : le port du masque est obligatoire et ne pas le porter est une infraction : si elle ne le porte pas, une personne doit assumer et ne pas réagir violemment en insultant un agent qui l’interpelle.
Jessie : Que peut-on faire contre les violences policières ?
Hafsa : On ne peut rien faire ! Sur le terrain c'est très compliqué, il y aura toujours des abus de pouvoir et de racisme venant des agents, et chez les jeunes, il y aura toujours beaucoup de haine à cause des actes du passé. Tant qu'il y aura des lois qui nous privent de nos libertés, il y aura toujours des problèmes.
Isabelle : On peut faire beaucoup de choses, des dessins, des manifs… Dans tous les cas, il faut s’organiser. Il faut s’asseoir, marcher ou se réunir, avec des personnes qui partagent le même intérêt de lutter contre ces formes de violence, et avec ces personnes réfléchir à qu’est-ce qui nous fait du mal, pourquoi ça nous fait du mal, et ce qu’on peut faire ensemble pour répondre au fait que ça nous fait du mal. C’est très important, car c’est comme ça qu’on crée des communautés de lutte.
On va prendre un exemple tout bête : la manif Black lives matter, elle a existé parce que des personnes se sont organisées. Des personnes, pendant plusieurs semaines, pendant plusieurs mois, aux Etats Unis, se sont parlés, dans la vraie vie et sur les réseaux sociaux, et se sont dit "on en a marre, on considère qu’il faut mettre un terme aux violences policières sur nos corps. Comme on est agressé dans la ville, la meilleure manière de répondre à cette agression, c’est de manifester en ville".
A Bruxelles, c’est peut-être un peu différent, c’est une petite ville, séparée en communes, les gens se regroupent par communautés linguistiques. On pourrait décider collectivement, qu’on va se former, par exemple sur comment répondre si jamais les forces de l’ordre nous contrôlent au faciès. Se former à l’assistance aux victimes : quel type de soutien ou de solidarité on apporte à nos amis qui souffrent ? Crée-t-on une formation spécifique dans laquelle on apprend nos droits, des moyens de se défendre ?
Il n’y a pas une technique, une seule manière de faire pour répondre. Que tu deviennes avocate, dessinatrice, que tu sois quelqu’un qui a été frappé par la police, dans tous les cas, il faut une action organisée, discutée dans ses manières de faire et ses conséquences.
Jessie Tshiasuma, volontaire dans l'équipe de rédaction de Magma
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