Société
Ni racisme, ni classisme, ni sexisme - Le podcast Carte Non-Blanche, pour plus de voix
27 mars 2020
© Joanito Daves
Vanessa Vovor est une jeune femme pétillante, chaleureuse, présente et posée. Elle nous fait une analyse réfléchie de son vécu, de ses découvertes et de ses déconstructions par rapport aux différents systèmes de domination qu’elle essaye de combattre. Elle nous parle du racisme qu’elle a subi, lors de son enfance, pendant ses études universitaires et dans le monde du travail. Elle parle aussi de son rapport au féminisme et de son prochain projet personnel.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Vanessa, j’ai 29 ans et je viens de quitter mon boulot. J’ai travaillé pendant 4 ans dans la gestion de projets financés par l’Union Européenne, sur les droits humains et l’environnement. Actuellement, je me focalise sur des projets personnels, tel que le lancement d’un podcast intitulé "Carte Non-Blanche" qui donnera la parole aux femmes racisées de Belgique.
Pourquoi l’idée de ce podcast ?
Les femmes racisées sont très peu présentes dans les médias en Belgique. Pourtant, c’est très important pour notre construction. Les podcasts m’ont énormément aidée à construire mon féminisme. C’est un média qui me semble plus accessible et qui permet de donner la parole à celleux qu’on n’entend jamais.
Peux-tu nous parler du parcours qui t’a amenée à la création du podcast Carte Non-Blanche ?
Je suis née à Bruxelles, j’ai grandi avec ma sœur et ma maman. À mes 10 ans, nous avons déménagé à Ottignies, dans le Brabant Wallon, car ma maman s’est mise en ménage avec son compagnon. Avec ma sœur nous nous sommes retrouvées dans une école avec des enfants majoritairement blancs, qui n’avaient jamais côtoyé d’enfants racisés. Mon arrivée dans l’école faisait jaser.
Ils ne comprenaient pas la texture de mes cheveux, ils les touchaient et me demandaient pourquoi ils tenaient comme ça. Ils ne comprenaient pas non plus le métissage, comment une maman métisse à la peau très claire et un beau-père blanc pouvaient avoir deux enfants à la peau noire.
Plus j’avançais dans mes études, au plus le nombre de racisés diminuait !
J’avais toujours eu des bonnes notes en primaire, ce qui avait tendance à surprendre, d’ailleurs. A la fin de mes primaires, on m’a donc conseillé d’aller dans une école A plutôt que la B. Je me suis pourtant inscrite dans l’école B, car la A était complète. Heureusement, car il y avait plus de diversité culturelle et sociale dans ma nouvelle école.
En secondaire, j’étais dans la classe qui n’avait pas choisi l’option latine. Dans cette classe-là, il y avait plus de jeunes racisés et issus de divers milieux sociaux. En fin d’année, pas mal d’élèves étaient réorientés vers le technique ou le professionnel.
Plus j’avançais dans mes études, au plus le nombre de racisés diminuait. Ce n’était jamais dit clairement, mais je pense qu’il y avait une volonté de la direction d’avoir une bonne école. Et une bonne école, c’est une école la plus blanche possible.
A l’université, le racisme y était aussi, mais plus insidieux. Tu n’entendras pas "sale noire, rentre chez toi".
Dans les milieux “qui bénéficient d’une certaine éducation” comme l’universitaire, le racisme y était aussi, mais plus insidieux. Tu n’entendras pas "sale noire, rentre chez toi". C’est dans une ambiance de racisme et classisme, que je poursuis mes études d’ingénieur de gestion. Il y avait énormément de méfiance et de compétition. Ce qui m’a particulièrement marqué, c’est le pourcentage d’étudiants racisés qui diminuait fortement entre la première et la deuxième année. Ils étaient systématiquement réorientés vers d’autres filières comme sciences économiques. Aussi, c’est durant mes années en sciences politiques que j’ai appris que mon vécu personnel n’était que politique, ce qui m’a permis de comprendre et de mettre des mots sur mon parcours de vie.
Dans le monde du travail, je me suis très vite sentie la "token* de service"
Même si les personnes afro-descendantes ont un niveau de qualification plus élevé que la moyenne belge, le taux d’emploi est de 39,7% pour ces dernières, contre 61,9% pour la moyenne nationale (UNIA, 2011 ; ENAR, 2015).
Personnellement, je n’ai pas vécu de discrimination à l’embauche. J’ai presque toujours eu les boulots pour lesquels je postulais. Cependant, afin d’avoir un bon CV, j’ai toujours bossé deux fois plus à l’université et fais deux fois plus de stages non rémunérés.
Cela n’a pas empêché que dans le monde du travail, je me suis très vite sentie la "token de service", le joker pour justifier d’une "diversité" dans l’entreprise.
Le simple fait qu’il y a quelques personnes racisées, les collègues, surtout les blanc.he.s, préfèrent fermer les yeux, sur la présence du racisme au boulot.
Je fais attention à ne pas parler trop fort de peur d’être perçue comme "the angry black woman *"
Chaque jour, je dois faire face à des perceptions intériorisées de ce que les gens me renvoient. Je fais attention à ne pas parler trop fort de peur d’être perçue comme "the angry black woman". A la douane, lors de mes voyages, je me fais contrôler neuf fois sur dix. Je me comporte d’une certaine manière dans les magasins, car on m’a à l’œil.
Pour moi, le féminisme devra être intersectionnel, autrement dit, un féminisme qui aspire à l’égalité de toutes, à la déconstruction et à la décolonisation des institutions.
J’ai toujours eu des positions féministes, mais je me rendais bien compte qu’il y avait des trucs que je n’arrivais pas à partager avec mes amies blanches.
Pour moi, le féminisme devra être intersectionnel, autrement dit, un féminisme qui aspire à l’égalité de toutes, à la déconstruction et à la décolonisation des institutions. Une hiérarchisation des luttes n’a pas lieu d’être. Si le féminisme n’est pas antiraciste, anti-classiste*, anti-validiste*, anti-transphobe*, etc.
Ce n’est pas du féminisme. Et pour finir, je tiens à rappeler d’où je parle : femme, noire, hétéro, cis*, agnostique*, valide et universitaire. Mon vécu n’est pas le même que celui de personnes à l’intersection d’autres rapports de domination. Il est important de reconnaître ses privilèges et de tendre le micro à celleux qui n’ont pas la parole.
Merci Vanessa pour ce témoignage et rendez-vous sur ta chaîne pour suivre ton podcast "Carte Non-Blanche" !
Interview réalisée par MELANIE WILMET, Journaliste citoyenne chez Magma, Equipe Bruxelles
*Agnostique : Personne qui professe que ce qui n'est pas expérimental, que l'absolu, est inconnaissable ; sceptique en matière de métaphysique et de religion.
*Anti-classiste : Personne qui va à l’opposé du classisme.
*Anti-transphobe : Personne qui va à l’opposé de la transphobie. Transphobie : il s’agit de comportements de rejet, de mépris voire de haine envers les personnes transgenres. Définition issue du site de l'asbl BePax.
*Anti-validiste: Personne qui va à l’opposé du validisme. Le validisme ou capacitisme est une discrimination basée sur le handicap. C’est un système d’oppression qui considère que les personnes valides sont supérieures aux personnes handicapées. Le handicap est alors perçu comme quelque chose “d’anormal” et de honteux. Définition issue du site web de l'asbl Femmes de droit - Droit des femmes.
*Cisgenre : Le cisgenre est un type d'identité de genre où le genre ressenti d'une personne correspond à son sexe biologique, assigné à sa naissance.
*Classisme : Le classisme est une discrimination fondée sur l'appartenance ou la non-appartenance à une classe sociale, souvent basée sur des critères économiques.
*Sexisme : Attitude de discrimination fondée sur le sexe.
*The angry black women : traduit de l’anglais : la femme noire énervée. C'est un stéréotype qui consiste à dire que toutes les femmes noires sont agressives.
*Token : Traduit de l’anglais : Jeton. En anglais, l'adjectif "token" placé devant un nom de minorité désigne un personnage de fiction qui est membre d'une minorité, placé dans le but de représenter cette minorité.
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