Société
Nasser, une vie auprès des jeunes
8 février 2016
Alors que la commune de Molenbeek défraie la chronique, nous avons voulu faire connaitre la situation sous un angle nouveau. Si Molenbeek est connue comme une commune pauvre de Bruxelles, peu de gens savent qu'elle compte une grande concentration d'associations consacrées aux jeunes. MagMA a voulu donner la parole à ces personnes qui sont en contact avec les jeunes Molenbeekois. Nous avons rencontré Nasser, habitant de Molenbeek et administrateur de l'Association de la Jeunesse Molenbeekoise.
Pouvez-vous vous présenter brièvement en nous expliquant votre parcours ? Qu'est-ce qui vous a motivé à devenir éducateur ?
Cela fait maintenant 50 ans que je vis en Belgique. Mon père vient du Maroc, il a émigré en Belgique en 1963. Nous l'avons rejoint avec ma mère trois ans plus tard, en 1966. J'ai débarqué à Bruxelles alors que j'avais à peine 3 mois.
Depuis, j’ai toujours vécu à Molenbeek. Quand j'étais petit, j'avais l'habitude de fréquenter une maison de jeunes. J'ai tout de suite su que le métier d'animateur était fait pour moi. Dès l'âge de 13 ans, je me suis donc engagé comme bénévole. J'accompagnais les autres animateurs dans leur travail. Par la suite j'ai suivi une formation d'éducateur.
Après avoir été éducateur spécialisé à Namur, j'ai été animateur au Foyer Molenbeekois, où j'ai eu la chance de travailler auprès des jeunes. Petit à petit, j'ai gravi les échelons. D'animateur, je suis passé responsable. J'étais à la tête d'une équipe de 10 animateurs. Après cela, je suis devenu coordinateur. Depuis 2012, me voilà administrateur de l’association de la Jeunesse Molenbeekoise (AJM).
Vous travaillez donc dans le milieu éducatif depuis longtemps. Expliquez-nous en quoi consiste votre travail aujourd’hui.
Aujourd'hui, je suis administrateur de l'AJM. Mon rôle est de veiller au bon déroulement de nos activités, de gérer le budget, et de m'occuper du personnel. La mission de l'association consiste à s'occuper du public jeune du quartier, les enfants qui ont entre 6 et 14 ans.
Nous faisons surtout du suivi scolaire. Actuellement, nous avons 43 enfants sous notre responsabilité. Parallèlement à cela, nous avons mis en place depuis quelques temps, et à leur demande, un groupe d'alphabétisation destiné aux mamans des enfants de l'association.
Enfin, en plus de tout cela, nous faisons aussi de la réinsertion sociale. Nous accueillons les jeunes un peu plus âgés et nous les accompagnons dans leur recherche d'emploi. D'ailleurs, des jours de permanence sont prévus spécialement pour eux.
Que vous apporte ce boulot ?
Au départ, quand j'étais gamin, mes motivations étaient assez simples. Tout ce qui m'intéressait était d'amuser les jeunes, de partager des bons moments avec eux, de jouer, de rigoler.
Mais en grandissant, je commence à prendre conscience de la réalité, et surtout des difficultés. Aujourd’hui, la seule chose qui me motive est de pouvoir aider les jeunes du quartier. Je me rends compte que le fait de gérer une association donne beaucoup de responsabilités. En effet, nous avons des objectifs à atteindre et des obligations à respecter.
Quels sont les types de problèmes que vous rencontrez ?
Vous savez, l'argent est le nerf de la guerre. Les problèmes que nous devons affronter sont surtout d'ordre financier. En effet, les subventions que nous percevons proviennent à 95% du budget de la Cocof qui nous soutient dans le cadre du décret de Cohésion Sociale. Malheureusement, avec les 10.000 euros par an qui nous sont octroyés, nous manquons terriblement de moyens.
Par conséquent, nous sommes donc dans l'obligation de faire des choix. Concrètement, il est impossible d'organiser plus d'ateliers. Ce qui veut dire moins d'activités pour les enfants.
Revenons-en à vous. Vous avez expliqué que vous êtes arrivé en Belgique dans les années 60. Comment s'est déroulée votre intégration ?
Je fais partie de la première vague d’immigration marocaine. D'ailleurs, quand j'y pense, je me dis que c'était la belle époque. La Belgique était telle qu'elle aurait toujours dû être. Il faut souligner le fait que les habitants nous ont vraiment offert un accueil chaleureux. Je me souviens encore des dames qui nous distribuaient des bonbons sur le chemin de l'école. Mais la situation n'était peut-être pas toujours aussi idyllique J'étais peut-être trop jeune pour m'en rendre compte. Il faut aussi dire qu'à l'époque nous étions beaucoup moins nombreux. Même si on nous regardait vu que nous n'avions pas forcément le même teint de peau, des habitudes et une religion différente, nous étions quand même bien acceptés par la population[1].
Pour moi, la situation a commencé à dégénérer dans les années 90. A force de grandir dans des endroits séparés[2], nous avons fini par évoluer dans la méfiance de l'autre. Ce qui explique que beaucoup de nos jeunes ne se sentent pas vraiment Belges et se définissent carrément comme étrangers au pays.
Pourtant, tous ces jeunes ont bien une carte d'identité belge ?
Vous savez, ma carte d'identité, elle est dans ma poche, personne ne la voit.
En conclusion, j'aimerais que vous nous parliez d'un sujet en rapport avec notre magazine. Que vous inspire la thématique la mixité culturelle ?
Pour moi, ça peut très bien être la solution à nos problèmes. A condition de le faire réellement. Quand j'entends parler de "vivre ensemble", je ne sais plus si je dois rire ou pleurer. En effet, le "vivre ensemble", ça se construit très jeune. Pour moi, nous devons nous appliquer à ce qu'il y ait de la mixité sociale dans les écoles dès la maternelle. Nous devons bien nous rendre compte qu'à 18 ans, c'est déjà trop tard. L'enfant a eu le temps de grandir, et de s'enfermer dans ses préjugés. Pour moi, il est vraiment urgent d'insister sur le fait que le travail doit être fait très jeune. Les enfants doivent pouvoir grandir dans un environnement propice aux échanges, qu'ils soient culturels, culinaires, ou autres. C'est uniquement comme cela qu'ils apprendront à vivre avec la différence, et qu'ils deviendront des adultes plus ouverts.
La diversité culturelle, une richesse humaine dont il faut prendre soin
La diversité culturelle n'est pas quelque chose que l'on décrète d’en haut du jour au lendemain. C’est une semence plantée en terre qui met du temps à pousser et qui demande du travail, de la patience, et une attention particulière, un peu comme un enfant qui grandit. C’est le travail de Nasser et de son asbl ainsi que d’autres associations de terrain au quotidien. Soutenons-les, si nous souhaitons que nos villes et quartiers soient de belles mosaïques culturelles où grandissent les enfants de l’interculturalité !
[1] Un fort besoin de main-d’œuvre étrangère caractérise le début des années 60 en Belgique. C’est l’époque du « Travailleurs, soyez les bienvenus en Belgique ! ». Les préjugés raciaux, à cette époque, ne sont pas forcément accompagnés de pratiques discriminatoires. Mais par la suite, dans les années 70 puis 80, la Belgique entre en crise économique. Les personnes issues de l’immigration sont alors la cible du rejet. Pour plus d’informations :
http://germe.ulb.ac.be/uploads/pdf/infos%20livres/BreveHistImmBelg2012.pdf
[2] Les immigrés se sont installés en Belgique prioritairement à proximité de leurs lieux de travail : dans les bassins industriels et dans les grandes villes. L’installation de ces familles dans certains quartiers correspond aussi au besoin de reconstituer un espace de solidarité, ce qui n’est d’ailleurs pas le fait des seuls immigrés, mais de tous les groupes sociaux. http://germe.ulb.ac.be/uploads/pdf/infos%20livres/BreveHistImmBelg2012.pdf
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