Société
Nanar ou l’odyssée européenne d’un jeune syrien
7 décembre 2018
© Nanar Hawach
Et si l’intégration commençait par l’ouverture à l’autre ? C’est le message que porte Nanar Hawach, un syrien de 28 ans qui vit désormais à Bruxelles. Etudiant en sciences politiques, il nous transmet quelques idées pour une meilleure inclusion des migrants en Europe. Rencontre.
Nanar grandi dans l’une des plus grosses villes de Syrie : Homs. Aujourd’hui tristement célèbre en raison des combats qui y font rage, Homs était l’un des centres économiques du pays. Pour autant, Nanar se souvient qu’il n’y avait « pas grand-chose à y faire quand on était petit ». Alors il passe la majorité de son temps à jouer au football dans les rues de son quartier. Enfant unique, il lui arrive aussi de se plonger dans la lecture pour rêver à d’autres univers. Celui d’Astérix et Obélix, rempli d’humour, est l’un de ses préférés.
L’école ne le passionne pas. Il se sent mieux dehors, à l’air libre, une balle au pied. Coup du sort, l’appartement dans lequel il vit avec ses parents se situe à quelques mètres à peine de son école. Dans ces conditions, difficile pour lui d’échapper aux cours. « C’est très dur de se rebeller quand tes parents peuvent s’assurer que tu entres bien dans ta classe depuis la fenêtre du salon », s’en amuse-t-il aujourd’hui.
Si aller à l’école n’était pas toujours une partie de plaisir, c’est bien pour les études que Nanar va émigrer, d’abord temporairement puis de manière plus définitive. À 14 ans, il décroche une bourse qui lui permet d’étudier deux ans au Royaume-Uni. Une opportunité qu’il est heureux d’avoir saisie, même si ces deux années n’ont pas toujours été faciles. « D’abord, il y a eu la pluie : elle ne s’est presque jamais arrêtée », plaisante-t-il à moitié. Mais surtout, il y a les différences de mode de vie, auxquelles il faut s’habituer, tant bien que mal. Celle qui semble l’avoir le plus marqué porte sur les terrains de jeux : « En Syrie, on est habitué à jouer dehors, dans la rue, alors que les Européens préfèrent aller dans des parcs ou dans des gymnases. » Cette particularité sonne aujourd’hui comme une évidence à ses yeux. Mais c’est à la dure qu’il s’en est petit à petit rendu compte, après de nombreux regards désapprobateurs émanant de ses nouveaux voisins. « Un jour, une vieille dame du quartier m’a lancé “Qu’est-ce que tu fais dehors ? Tu n’as pas de parents pour s’occuper de toi ?”.
L’école, miroir de la société ?
À ces spécificités culturelles s’ajoutent des tensions raciales. Tensions qui se développent principalement dans la cour de récré. Certains élèves reprochent à Nanar d’être différent ou de ne pas correspondre aux préjugés qu’ils se font de la Syrie. Une situation que Nanar tend à relativiser, pointant le bon accueil que lui réservent les professeurs. « Il m’ont proposé des cours particuliers d’anglais les premières semaines, alors qu’ils n’étaient pas obligés. »
Il lui faut plusieurs mois pour s’habituer à sa nouvelle vie et s’intégrer réellement. Une nouvelle vie qui n’est que temporaire : alors qu’il approche de ses 16 ans, il retourne à Homs. Il y retrouve ses amis et sa famille, ainsi que des températures légèrement plus agréables. L’occasion aussi de se rendre compte des divergences d’approches éducatives entre le Royaume-Uni et son pays natal. « En Angleterre, j’adorais les maths ! C’était facile parce qu’on est beaucoup plus avancé en Syrie ». Le cours de science le passionne aussi, notamment en raison de l’importance accordée à la pratique. Le jeune homme ne se reconnaît pas dans un système qui lui demande d’apprendre tout par cœur, jusqu’au plus petit détail. « En Syrie, tout ce qu’on fait c’est lire les livres, sans jamais mettre la théorie en pratique. Et surtout, sans jamais la critiquer. » Autre différence : la longueur des journées. « A Homs, j’avais plus ou moins quatre heures de cours par jour, en Europe, c’est presque le double ! ». Mais étudier au Royaume-Uni n’a pas que des avantages. Certaines matières s’ancrent par ailleurs dans une réalité bien différente de la sienne, le laissant sur le côté de la route : « Je détestais l’histoire et la géographie, trop centrées sur l’Empire britannique, ce qui m’empêchait de m’identifier au propos. »
Bruxelles, une échappatoire cosmopolite
Tout ça n’empêchent pas Nanar de terminer ses études avec succès. Mais son séjour à l’étranger et ses croyances personnelles le font rêver d’un nouveau voyage. Il ne se sent pas en phase avec la société syrienne et la guerre civile qui éclate en 2011 renforce sa volonté de partir. C’est finalement en 2016 qu’il boucle ses valises et quitte sa ville natale, décidé à poursuivre ses études ailleurs. Etudiant en sciences politiques, c’est assez naturellement que son choix se porte sur Bruxelles, « capitale de l’Europe et siège de nombreuses institutions internationales ».
Un choix qu’il ne regrette pas, bien au contraire. « Ce qui est génial à Bruxelles, c’est qu’on s’y sent comme chez soi. Je n’ai jamais eu l’impression d’être un étranger ici ! » Un sourire dans la voix, Nanar confie ne jamais avoir eu à s’”intégrer” tant son installation chez nous s’est bien passée. Une situation privilégiée qui s’explique notamment par son statut d’étudiant et la présence d’une large communauté internationale au sein de la capitale.
L’Europe, des politiques migratoires à améliorer
C’est dans ce cadre cosmopolite que Nanar effectue un doctorat à l’Université Libre de Bruxelles. Très touché par la guerre en Syrie, il a fait des thématiques liées au conflit sa spécialité. A terme, il aimerait participer à l’avancée des choses sur le terrain, « aider à améliorer la vie des gens ». Pour l’heure, il pose un regard critique sur les politiques migratoires en Europe. Il insiste notamment sur l’importance de considérer les migrants pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des êtres humains avant tout. Des êtres qui avaient une vie et un travail avant l’exil. « Il y a deux choses dont je suis fier à propos du peuple syrien : sa cuisine et le fait qu’il travaille dur. » Des qualités que la Belgique ne met, selon lui, pas à profit en empêchant les demandeurs d’asile de travailler tant qu’ils n’ont pas de papiers. « C’est vraiment dommage parce que ça les réduit à une position d’assistés et cela consolide les discours de l’extrême-droite. »
Son message est clair : pour intégrer correctement les nouveaux arrivants, il faut apprendre à les connaître. Comprendre que nous pouvons bénéficier d’un échange avec eux. « Les Syriens ont quelque chose à apporter. Nos 7.000 ans d’histoire valent quelque chose. Si nous trouvons un moyen de nous enrichir l’un l’autre grâce à nos cultures, nous pouvons faire de Bruxelles une ville encore plus belle ! »
Sarra El Massaoudi
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