Société

Molenbeek : j'y travaille et j'en suis fière !

27 janvier 2016

© Mahdiya El-Ouiali

Il y a deux mois, Bruxelles sortait tout juste de l'abattement insinué par le niveau d'alerte 4. Molenbeek était montrée du doigt dans tous les médias. Emmanuelle lance alors un appel : elle déclare le bonheur de travailler dans cette commune mais aussi son inquiétude pour les Molenbeekois, en particulier musulmans. Ses interrogations sur les choix politiques de notre pays et ses propositions pour renforcer la citoyenneté sont plus que jamais d'actualité.

 

Lundi et mardi passés, les bureaux d'Oxfam étaient fermés. J'en ai été informée la veille par la direction, à mon grand étonnement tout d'abord. Si même Oxfam ferme, où va-t-on ? Puis, je reçois la communication écrite de Stefaan Declercq, Secrétaire Général, expliquant la décision. Deux raisons sont invoquées : les métros ne circulent pas et les écoles sont fermées. Etant donné que de nombreuses personnes viennent travailler en train et métro, et que la garde d’enfants s’annonçait compliquée pour de nombreux collègues bruxellois, c'est la mesure qui est prise. Je lis la suite : « […] je suis fier que notre siège se trouve à Molenbeek […]. Cela nous convient et il en va de la cohérence que nous avons souhaitée, comme en 2000 lorsqu'Oxfam a déménagé ses bureaux à Molenbeek. »

Moi aussi, j'en suis fière. J'y travaille depuis plus de deux ans et j'ai découvert un quartier que je connaissais peu, où l'on ne se rend pas par hasard quand on vient d'une autre commune. J'y vais tous les jours à vélo depuis Saint-Gilles, j'ai l'habitude d'y déambuler, d'y manger ou d'y faire quelques courses. J'aime Molenbeek, ses habitants, ses commerçants, je m'y sens bien. Une belle découverte.

Chez Oxfam, je suis responsable du service d'éducation, qui propose au public une lecture critique des réalités mondiales contemporaines mais aussi des solutions au quotidien : que ce soit au sujet de l'impact de la mondialisation sur les conditions de travail et sur l’exploitation des ressources naturelles, ou encore au sujet des conséquences du changement climatique sur la faim. Concrètement, chaque jour presque (en dehors des vacances scolaires), des groupes sont accueillis à Molenbeek dans nos ateliers d'immersion. Ils viennent d'écoles secondaires, d'associations, de syndicats ou de partis politiques pour ne citer qu'eux, de tous les coins de la Belgique. Aujourd'hui, parce que nos bâtiments se trouvent à Molenbeek, les annulations se succèdent... 

 

Je suis  triste et en colère...

La situation ultra-sécuritaire est peut-être justifiée, je n'en détiens pas l'information. Mais elle a et aura des conséquences à prendre en compte aujourd'hui et demain, entre autres sur ces jeunes qui n’ont pu se rendre à Molenbeek dans les ateliers Oxfam. Rien de vital, me direz-vous. Certes, manquer les ateliers, ce n’est que manquer une occasion parmi d’autres de s’ouvrir, découvrir, apprendre à connaître l’autre et le monde qui nous entoure. J'ose toutefois espérer que notre gouvernement n'est pas en train d'instrumentaliser la « lutte contre le terrorisme », prenant ainsi en otage l'éducation et la culture,  leviers cruciaux pour combattre toutes formes d'extrémisme ; ou pour faire durer un climat anxiogène, ennemi de l'ouverture à l'autre. L'avenir nous le dira... Ce qui est certain par contre, c'est que je refuse que mon pays continue à vendre des armes au Moyen-Orient ou dans d'autres régions, que de grandes puissances se permettent de bombarder encore et encore, terrorisant des civils en Syrie ou ailleurs.

 

Et j'ai peur...

Certains médias ont donné un visage nuancé de Molenbeek depuis quelques jours : tout en l'évoquant comme une commune où transitent, vivent des personnes extrémistes, la presse a donné la parole à des travailleurs de terrain et a médiatisé le rassemblement de 3.000 personnes sur la place communale en hommage aux victimes d’attentats. Une vision certes plus positive et plus juste. Mais quelles traces vont rester dans l'opinion publique (inter)nationale ? J'ai peur de cette vision binaire à la Zemmour qui veut bombarder Molenbeek... Je suis inquiète pour mes collègues et mes amis musulmans, en raison des amalgames plus criants encore dont ils seront victimes demain. J'ai peur qu’encore plus, ils se fassent arrêter arbitrairement, qu'ils soient dévisagés dans la rue, qu'on menace les mosquées, qu'on leur refuse un boulot, un logement,...

Aujourd’hui, j'encourage plus que jamais quiconque à venir à Molenbeek, pour y découvrir ses anciens bâtiments industriels, écouter des concerts, manger un menu au resto social, papoter avec les habitants qui y vivent….

Lutter à Bruxelles contre le terrorisme se revendiquant de l'Islam, c'est renforcer des politiques dans notre ville en faveur d'une réelle mixité sociale, une place pour chacun en tant que citoyen(-ne), entre autres à travers des perspectives d’emploi, un enseignement de qualité dans tous les quartiers, la participation des jeunes à des projets citoyens, la lutte contre le racisme dont l'islamophobie, le soutien aux travailleurs de terrain qui font un travail de fourmi. Cesser de lier le terrorisme à l'Islam. S'attaquer aux racines des problèmes et identifier des réponses adaptées et efficaces.

C’est aussi promouvoir l'éducation à la citoyenneté, pour continuer d'activer son esprit critique en tout instant, s'éduquer aux médias et à la paix, mieux comprendre le monde, lutter contre les stéréotypes et les idées reçues, questionner nos propres modèles de production et de consommation ; et s'engager dans des actions de justice sociale et environnementale. Un travail de longue haleine certes, mais indispensable par les temps qui courent aujourd'hui. A Molenbeek comme ailleurs, c'est devenu plus que jamais une urgence incontournable.

Une opinion écrite par Emmanuelle De Caluwé, incitée par Mahdiya El-Ouiali