Société

Migrants et acteurs du changement!

31 mai 2021 - par Destin Chatue

Destin a rencontré Abdelhak Ziani, membre du « Collectactif », un collectif Bruxellois créé en 2013 à l’initiative de personnes sans-papiers, dans le but de s’assurer une sécurité alimentaire à travers la récupération de nourriture destinée à la poubelle ! Avec cette initiative, le collectif démontre que les réponses aux enjeux écologiques peuvent s’initier à partir de la réalité des personnes les plus précarisées, et que ces dernières sont aussi des citoyens acteurs du changement.

Comment le collectactif a-t-il été créé ?

En 2013, je travaillais pour l’asbl Pigment, qui était un accueil de jour pour les personnes sans-papiers et sans-abri. Nous étions en contact avec des collectifs de personnes sans-papiers, notamment le collectif « Sans-papiers Belgique ». Ensemble, nous avons constaté que nous étions face à deux problèmes : le fait que la lutte politique pour la régularisation des sans-papiers n’aboutissait pas, et le fait que l’accès à l’alimentation n’était pas du tout assuré pour tous. Nous avons réfléchi à changer d’approche par rapport à la question migratoire, pour ne plus être dans un rapport frontal avec les politiques. En tant que personnes sans-papiers, nous avons voulu transformer un problème en solution. Donc, nous avons transformé les problèmes du non-accès à l’alimentation et du gaspillage alimentaire par la solution de la récupération, pour offrir une alimentation durable aux personnes qui se trouvaient dans différentes précarités.  

Comment ça se passe dans la pratique ?

Nous avons eu un accord avec des abattoirs, et, chaque semaine, nous récupérions une tonne et demie de fruits et légumes ! C’est une quantité absolument énorme !  Il y avait pas mal de gens qui venaient déjà aux abattoirs récupérer de la nourriture par-ci par-là, mais nous avons voulu organiser la récupération et le partage, pour que cela se passe de manière digne. Dans un entrepôt mis à notre disposition, nous avons travaillé avec des bénévoles pour le tri et la distribution.

Comment la question écologique s’inscrit dans votre action ?

C’est une réflexion qui est venue par après. Avec cette action, nous avons d’abord voulu répondre à un besoin. Ensuite, nous avons voulu changer d’approche dans la manière dont nous portions le combat des personnes migrantes. La lutte frontale se déroulait un peu dans une sorte de monopole de la souffrance. Nous avons voulu montrer que nous pouvions aussi adhérer aux aspirations sociales, et notamment écologiques, de la société d’accueil, en devenant nous aussi des acteurs du changement. La question écologique se concentre souvent dans les mains d’une classe sociale privilégiée. Pourtant, la récupération alimentaire, c’est un geste écologique, qui répond aussi à un réel besoin concret et immédiat.

Quel est votre message au monde politique ?

Le monde politique est démissionnaire sur les questions et les préoccupations des personnes migrantes et sans-papiers. C’est ici que nous intervenons, en tant que citoyens, avec des actions qui viennent combler les vides structurels. En 2015, lors de la crise de l’accueil[1], nous sommes allés au parc Maximilien, et y avons ouvert une cuisine. Notre message était : « Les sans-papiers accueillent les réfugiés ! » Nous voulions démolir la concurrence et la division qui est mise par l’Etat entre les « bons » et les « mauvais » migrants. Avec le collectactif, nous avons aussi mené une réflexion sur la citoyenneté. La citoyenneté que l’Etat ne reconnaît pas aux personnes sans-papiers, nous la prenons en devenant des acteurs actifs sur les questions importantes de la société d’accueil. Aujourd’hui, nous voulons dire, notamment au secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration, qui ne veut pas nous écouter : que les sans-papiers sont là depuis des années, qu’ils ont démontré qu’ils étaient capables d’apporter un plus à cette société, et qu’il est temps de réellement reconsidérer les termes et lois qui régissent aujourd’hui l’accueil de manière insensée !

Et votre message aux citoyens ?

Qu’il ne faut pas tomber dans la résignation, surtout en cette période difficile, mais qu’il faut entretenir et construire des rapports d’empathie et de solidarité. Il faut penser global, tout en agissant local, en mettant les gens en lien.

Aujourd’hui, c’est quoi le collectactif ?

C’est un groupe de personnes bénévoles socialement mixte, qui inclut les bénéficiaires dans sa réflexion et action. Nous avons maintenant un grand local, près de la gare de l’Ouest, dans lequel nous avons mis plusieurs projets en œuvre. Nous distribuons toujours des colis alimentaires. Nous avons aussi une friperie, un potager intérieur, une cuisine communautaire, un atelier de récupération de palettes pour en faire des meubles, un atelier de réparation de vélos, un studio d’enregistrement et un projet radio ! Et nous avons hâte de pouvoir ouvrir tout ça de manière plus large au public !

 

Destin Chatue 

 

Avec le soutien de :                  

 

[1] En 2015, le nombre de demandes d’asile déposées en Belgique double par rapport à l’année précédente. L’accueil de ces personnes n’est pas du tout assuré par l’Etat et un grand nombre de personnes dorment au parc Maximilien à Bruxelles. Aujourd’hui, beaucoup de personnes migrantes, qu’elles soient en transit ou demandeuses d’asile, sont encore contraintes de dormir dans ce parc.