Société

"Manger des aliments produits en ville, ce n'est pas une utopie!"

21 novembre 2013

© Photo prise par Marie Vincent

Conseiller budgétaire ministériel, père de deux enfants, Thomas Vercruysse œuvre depuis quinze ans dans les coulisses du monde associatif écologique et militant. En 2010, l'asbl Le Début des Haricots inaugure une ferme urbaine à Neder Over Hembeek. Pour cet agronome de 37 ans, c'est un vieux rêve qui voit le jour...

Une ferme en ville, un pari osé?

J'ai toujours cru en la possibilité de faire vivre des gens de l'agriculture écologique à Bruxelles. Il faut savoir qu'il y a aujourd'hui environ 300 hectares de terres agricoles dans cette ville, mais qui servent principalement à la culture de maïs pour nourrir des porcs destinés à l'exportation. Si ces 300 hectares étaient consacrés au maraîchage, la production profiterait à la ville et à ses habitants et 300 emplois directs pourraient être créés. La ferme de Neder Over Hembeek vise à montrer que le développement de la ville peut être envisagé autrement, en suscitant chez des jeunes l'envie de s'investir dans la production alimentaire urbaine et péri-urbaine.

Il fallait convaincre les bailleurs de fonds et mon apport a été d'aider Le Début des Haricots à monter les dossiers et traduire nos idées en demandes concrètes. Aujourd'hui, grâce à un contrat avec Actiris et à une subvention complémentaire du Ministère de l'Emploi, nous  pouvons payer quatre stagiaires en maraîchage biologique, deux formateurs agronomes et une accompagnatrice sociale. L'objectif est de réinsérer des jeunes, détenteurs au maximum d'un certificat d'enseignement secondaire supérieur, au chômage depuis plus de deux ans, en leur offrant une formation pratique qui leur mette d'emblée le pied à l'étrier. La production de légumes issue de leur travail est revendue en filière courte, à travers le circuit des groupes d'achats solidaires (GASAP).

Le but n'est pas d'être rentable économiquement, mais de sauver le peu de terre agricole qui reste à Bruxelles, tout en amorçant un changement d'attitude face à nos habitudes alimentaires. Quel sens y a-t-il à manger des tomates d'Espagne ou des haricots du Kenya, quand on se rend compte qu'on peut produire ces aliments dans notre propre ville ?

 

Le Début des Haricots a été précurseur dans son soutien à de nombreuses initiatives d'agro-écologie urbaine… Comment t'es-tu retrouvé impliqué dans ce projet ?

Ça paraît incroyable, mais tout est né de la rencontre d'une petite bande de potes étudiants en agronomie, à Ath à la fin des années nonante. Nous sommes tous bruxellois et ce qui nous a toujours rassemblé, c'est la conviction que la nature et la production alimentaire ont leur place en ville. L'idée du collectif a progressivement mûri et j'ai aidé à lancer l'asbl quelques années plus tard, de retour d'une expérience de travail à l'étranger. 

Après mon graduat, j'ai d'abord travaillé trois ans dans une école d'horticulture pour handicapés mentaux à Bruxelles. Je suis ensuite parti au Pérou près de quatre ans pour travailler dans des projets de diversification agricole, puis en Afghanistan dans un projet de développement du secteur fruitier. De retour en Belgique, j'ai occupé un poste de gestionnaire de programmes chez Oxfam. Au cours de mon parcours, je suis passé d'un boulot technique à des fonctions plus administratives et financières. Ce sont ces compétences que j'ai pu mettre à  profit dans  l'association, par exemple en l'aidant à structurer ses demandes pour l'obtention de financements.

Quand je regarde le chemin parcouru, je suis fier de ce que l'association est devenue. Jamais nous n'aurions pu imaginer que le phénomène prendrait une telle ampleur, quand on a commencé dans un garage à faire des paniers de légumes entre potes. Aujourd'hui le monde politique nous cherche, nous écoute; nous sommes devenus un acteur incontournable de cette ville.

 

Selon toi, qu'est-ce qui explique un tel succès ?

Le Début des Haricots est arrivé sur le terreau bruxellois avec des propositions alternatives très concrètes au bon moment. Depuis le commencement, nous dénonçons les dérives du système agro-alimentaire et nous contribuons à amener une réflexion sur la question de la souveraineté alimentaire en Belgique, et pas uniquement dans les pays du Sud. Or, les scandales alimentaires se sont accumulés , de la vache folle aux poulets à la dioxine à la crise porcine. Et puis il y a eu la crise alimentaire de 2008, avec la flambée des prix agricoles et les émeutes de la faim, suivies de près par la crise financière et la crise économique. Tous ces épisodes ont contribué à mettre la question de l'alimentation durable au cœur des préoccupations de la société belge.

Le Début des Haricots amenait une autre vision de la ville. A Bruxelles, nous avons joué un rôle de catalyseur. Notre philosophie est que pour qu'il y ait un changement durable, il faut que les gens deviennent leurs propres acteurs. En tant qu'association, il faut les conscientiser sur les problèmes, réfléchir avec eux à des solutions et les aider à s'organiser pour mieux agir. C'est un proverbe chinois qui dit "Donne un poisson à quelqu'un il mangera un jour; apprends-lui à pêcher il mangera toute sa vie". En aidant les citoyens à identifier un terrain, à faire une convention d'occupation , à savoir comment faire un potager et à trouver des règles de vie en commun, nous sommes devenus une référence en termes de production alimentaire en ville. L'objectif est rempli dans le sens où ça percole: aujourd'hui, il y a une vraie prise de conscience des enjeux liés à l'alimentation durable.

 

Quel regard portes-tu sur l'avenir ?

Si je suis investi dans la société civile depuis si longtemps, c'est que je crois qu'un changement  de société est nécessaire. En tant qu'agronome, j'ai décidé que les questions que je dois faire bouger sont celles de l'alimentation, de la paysannerie et de la place de l'agriculture dans l'économie. Je ne veux pas voir grandir mes enfants dans le monde dans lequel j'ai grandi, où on n'attache aucune importance à ce qu'on mange, où l'agriculteur est dévalorisé alors que c'est lui qui nous nourrit. Ce qui m'indigne le plus, c'est la logique prédominante du marché. Il y a de moins en moins de paysans, parce que les exploitations deviennent de plus en plus grandes. On importe nos aliments, sans se rendre compte qu'avec la fin de l'ère du pétrole, nous courons droit dans le mur si nous ne produisons pas nous-mêmes. C'est tout notre paradigme de développement qu'il faut changer. Il y a trop d'investissements d'avenir qu'on omet de faire parce qu'il ne sont pas rentables. Mais sans paysan il n'y a pas de pays!

Il faut qu'il y ait un changement de comportement et il est vrai que pour l'instant, les notions d'alimentation durable et de consommation responsable restent dans le chef d'une certaine élite. Mais les changements sociétaux arrivent toujours par un petit groupe et je crois que c'est en train de prendre. Il suffit de voir l'importance que prend le vélo comme moyen de transport à Bruxelles, les chiffres qui prouvent que le gaspillage diminue, ou la mobilisation croissante aux manifs contre Monsanto. Il y a une prise de conscience collective, les gens ont envie d'être acteurs du changement. Quand je vois ma fille de 8 ans et son éveil écologique, je me dis que la prochaine génération a des réactions encourageantes pour l'avenir de l'humanité.

 

Pour en savoir plus :

http://www.haricots.org/

Les « Villes en transition » : face aux crises, la puissance de la vision positive ! http://www.justicepaix.be/?article638