Société
Les réfugié.e.s climatiques: ça n'existe pas ?
10 mai 2021 - par Lucie Breyer
Le changement climatique et la migration sont deux phénomènes au cœur de l’actualité récente. Souvent abordés séparément, il apparaît désormais indispensable de voir le lien étroit qui les unit. La notion de « réfugié.e climatique » devient primordiale, et pour Jessica Blommaert « il faut permettre d’ouvrir des voies légales et sûres pour pouvoir protéger ces personnes ».
Qu’est-ce qu’un.e réfugié.e climatique ?
Juriste de formation travaillant au service politique de l’ASBL CIRÉ, Jessica Blommaert explique que le terme « réfugié.e climatique » est erroné puisque juridiquement inexistant. En effet la Convention de Genève de 1951 définissant le terme de « réfugié.e » ne prend pas en compte les « réfugié.e.s climatiques ». Selon elle, il est préférable de parler de migrant.e.s de l’environnement. On englobe avec ce terme les victimes directes du changement climatique mais aussi les personnes qui voient leur habitat et leur environnement se dégrader.
Quelle protection pour ces migrant.e.s de l’environnement ?
Jessica Blommaert a travaillé sur la question il y a quelques années et a notamment rédigé le compte rendu d’une journée d’étude organisée en 2010 sur cette thématique[1]. Elle connaît le problème du vide juridique lié à la protection de ces migrant.e.s de l’environnement et explique que la Convention de Genève, ratifiée par de nombreux États, prévoit un statut de protection uniquement dans certains cas. Pour être reconnu.e réfugié.e, il faut que la personne craigne une persécution liée à un des cinq motifs énoncés dans la Convention, à savoir sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social ou ses opinions politiques. Elle souligne qu’« aujourd’hui, la Convention n’est pas adaptée et ne prévoit pas en tant que tel le fait de pouvoir demander d’être reconnu.e réfugié.e sur base d’une crainte liée à la dégradation de l’environnement.»
Vers la création d’un statut spécifique ?
Une révision de la Convention de Genève pour y introduire un motif lié à l’environnement n’est pas sans risque, selon Jessica Blommaert. Les États les plus réticents pourraient en profiter pour revoir à la baisse les motifs existants pour être reconnu.e réfugié.e.
Le CIRÉ, en sa qualité d’ASBL défendant les droits des personnes migrantes, a notamment publié un article sur le sujet[2]. Jessica Blommaert explique que l’ASBL penche plus en faveur de la création d’une nouvelle convention internationale prévoyant un statut protégeant les droits fondamentaux de tous les déplacés environnementaux, qu’ils franchissent une frontière ou non, qu’ils le fassent de manière forcée ou volontaire, et de manière définitive ou temporaire.
Mais la création d’un statut spécifique pour ces migrant.e.s ne résoudrait pas tout. Il faut être conscient que les pays les plus touchés par les effets du changement climatique et la dégradation de l’environnement ne sont généralement pas les États les plus pollueurs[3]. Jessica Blommaert est d’avis que les États les plus pollueurs ont une forme de responsabilité en ce sens, et selon elle « cela permet de faire le lien avec ce que l’on appelle l’injustice migratoire ». Les personnes les plus touchées par les effets du changement climatique sont en effet celles qui vivent dans des pays en développement, dans des conditions d’instabilité et de précarité. Selon elle, la responsabilité des États tient en deux pans : d’une part, il faudrait aider ces pays en allouant des budgets spécifiques pour freiner les effets du changement climatique (c’est un peu le principe du pollueur payeur) ; d’autre part, il faudrait aussi ouvrir des voies légales et sûres si des personnes décident ou sont obligées de migrer.
Quelles sont les actions des associations belges pour aider ces migrant.e.s ?
Le statut de « réfugié.e climatique » n’existant pas, les migrant.e.s « n’invoquent en général pas pour seul motif le réchauffement climatique ou la dégradation de l’environnement dans leur pays d’origine ». À la connaissance de Jessica Blommaert, aucune initiative d’accueil spécifique n’est prévue pour ces personnes puisqu’elles n’existent pas juridiquement. Elle explique que le travail d’ONG comme le CIRÉ se concentre sur le plaidoyer. Elles essayent d’attirer l’attention des décideurs politiques aux niveaux belge et européen sur les problématiques liées aux effets du changement climatique, et sur la protection des droits fondamentaux de ces migrant.e.s.
L’affaire Teitiota : une lueur d’espoir ?
Récemment une lueur d’espoir est apparue dans la question de la reconnaissance des migrant.e.s de l’environnement, avec l’affaire Teitiota. Monsieur Teitiota vit sur une île du Pacifique durement touchée par les effets du changement climatique. Il a demandé le droit d’asile en Nouvelle-Zélande mais cette dernière lui a refusé ce droit et l’a renvoyé dans son pays d’origine[4]. Il a alors porté l’affaire devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU. Jessica Blommaert rappelle que le Comité ne rend que des décisions individuelles et non contraignantes. Il a pour rôle de contrôler si les États respectent bien le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui comprend notamment le respect du droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains dégradants. Bien que confirmant la décision de la Nouvelle-Zélande de renvoyer M. Teitiota dans son pays parce qu’il n’y avait pas de danger assez imminent, le Comité a été plus loin en donnant un avertissement aux États. Comme le souligne Jessica Blommaert, cette décision du Comité indique que les États ont une responsabilité dans ce qui se passe. Lorsque des personnes n’ont pas d’autre choix que de quitter leur pays pour demander une protection en raison des effets du changement climatique, les États ont des obligations internationales par rapport à elles. « Le Comité donne un signal non seulement aux États, mais aussi aux personnes qui pourraient être victimes », et c’est en cela que c’est positif, souligne Jessica Blommaert. Les potentielles futures victimes savent qu’elles pourront sans doute saisir ce Comité concernant une violation du droit à la vie ou du droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants pour des raisons liées au changement climatique.
Quel futur ?
Le débat sur la reconnaissance juridique des migrant.e.s de l’environnement est plus que jamais d’actualité. Pour Jessica Blommaert, si la route est encore longue au vu de la réticence de nombreux pays à créer un statut spécifique pour les migrant.e.s de l’environnement, il faut continuer d’y travailler.
Lucie Breyer
Avec le soutien de :
[1] CIRÉ, Les migrants de l’environnement État des lieux et perspectives, juin 2010, disponible sur https://www.cire.be/wp-content/uploads/2011/11/migrants-environnement.pdf
[2] CIRÉ, Ceci n’est pas un réfugié climatique, avril 2010, disponible sur https://www.cire.be/publication/ceci-n-est-pas-un-refugie-climatique/
[3] CIRÉ, Les migrants de l’environnement État des lieux et perspectives, juin 2010, disponible sur https://www.cire.be/wp-content/uploads/2011/11/migrants-environnement.pdf
[4] Amnesty International, ONU. Décision historique en faveur des personnes déplacées en raison du changement climatique, 20 janvier 2020, disponible sur https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/01/un-landmark-case-for-people-displaced-by-climate-change/
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