Société

La prostitution étudiante: ce monde fantasmé et ambigu

26 mars 2015

© Bérénice Magloire

Il y a 4 ans, je découvrais le livre d'Eva Clouet, La prostitution étudiante à l'heure des nouvelles technologies de communication. De l'analyse d'Eva Clouet aux articles arborant des titres racoleurs, j'ai tenté de me construire ma propre vision de ce phénomène. A l'encontre de mes recherches sur les liens entre précarité et prostitution étudiante, le témoignage de Violetta[1] m'a permis de pouvoir confronter mes idées.

Existe-t-il une corrélation entre la précarité et la prostitution étudiante ?

Oui, parmi les récits sur la prostitution étudiante (Laura D. «  Mes chères études », les témoignages comme celui de Sophie sur le site de Bondyblog[2]…), les difficultés financières sont fréquemment retrouvées comme une des motivations des étudiant-e-s. L’escorting et les relations tarifées seraient un moyen plus rapide pour gagner de l’argent tout en ayant encore suffisamment de temps pour réussir ses études. C’est d’ailleurs, sous cet angle, que le syndicat français Sud-étudiant a révélé, en 2006, la situation des « 40 000 étudiant-e-s condamné-e-s à la prostitution[3] ».

En 2014, une université de Montpellier[4] publie les résultats d’une enquête auprès de ses étudiants. L’université annonce que 4% de ses élèves révèlent s’être déjà prostitués et plus de 15% penseraient recourir à la prostitution en cas de situation précaire. En Belgique, l’association Espace P. estime que le phénomène est moins courant qu’en France car le minerval des études est moins élevé et il n’y a pas d’année de « prépa ». Cependant, notre pays commence à s’intéresser au phénomène. Le 4 mars, une conférence-débat était organisée au sein de l’Université de Mons.

 

Les difficultés financières : une source de motivation pour Violetta ?

Dès le début de notre conversation, Violetta m’explique que dans son cas, ce n’est pas une situation précaire qui l’a amenée à l’escorting. Mais effectivement elle a déjà discuté « avec des filles qui faisaient ça pour payer leurs factures ou arrondir leurs fins de mois ».

L’année passée, Violetta était en couple. À la fin de sa relation, elle a envie de faire de nouvelles expériences et de profiter de son célibat. Elle noue de nouvelles relations et en discutant avec un ami, l’idée de l’escorting lui vient « comme un déclic ». La lecture de témoignages et d’informations sur le sujet la pousse à aller voir plus loin. Elle décide de publier un message sur un site de petites annonces bien connu sous une fausse adresse email. Le jour suivant, elle a reçu une soixantaine de réponses dans sa boite.

« J'y croyais pas trop. Mais en fait sur ce site, tout le monde sait ce que les filles cherchent. »

Grâce aux échanges par emails, elle peut discuter au préalable avec les futurs clients tout en gardant son anonymat. La plupart des clients, eux, utilisent leur propre adresse email. Lorsqu’ils s’adressent à elle, ils ne changent pas tous leur nom. C’est ce qui lui vaut d’échanger et de reconnaître le nom d’un directeur d’une école connue.

« Ils n'ont pas intégré tous les problèmes liés à la protection des données personnelles sur le net. »

Après un premier contact, par email, deux premiers rendez-vous sont pris la semaine d’après. Violetta a choisi de prévenir un ami de ses rendez-vous. Ce dernier est au courant de l’adresse du client ou du numéro de la chambre d’hôtel. Il est aussi tenu informé de la fin du rendez-vous. De cette manière, elle assure ses arrières en cas de soucis.

 

Escort, GFE, prostituée de rue… même combat ?

Lorsque Violetta évoque ses rencontres, elle parle de clients de 25 à 45 ans qui cherchent « plus que du sexe ».

« Souvent, tu bois un verre avant, tu discutes. Quelques fois on m'a invitée au restaurant aussi. »

Les rendez-vous avec le client se déroulent comme une rencontre. Nous sommes, dans ce cas, au-delà d’une relation dominant-dominé souvent relayée par les médias. Sonia Verstappen[5] explique également dans son article « Entre méprise et mépris. La prostitution : une forme de réparation ? » que certains clients seraient à la recherche de tendresse et d’affection en plus des relations sexuelles. Loin des reportages couramment diffusés dans les médias, principalement axés sur la traite d’êtres humains. Le métier n’est pas pour autant dépourvu de violence, mais il est juste de rappeler qu’il y a différents types de prostitution et qu’en fonction, les situations problématiques ne sont pas les mêmes.

Lors de mon entretien téléphonique avec Renaud Maes, collaborateur scientifique du CEREPOI et auteur de l’article « La prostitution » au spectacle des vanités, celui-ci avait tenu à souligner que pour avoir un réel débat, il faut d’abord reconnaitre qu’il existe différents types de prostitution. Grâce aux reportages télévisés, nous connaissons déjà la prostitution de rue ou de boxes (rue d’Aerschot). Dans son ouvrage, Eva Clouet souligne les différences existantes en éclairant un nouveau type, l’escorting. Les étudiant-e-s qui ont des relations tarifées se considèrent dans la majorité des cas comme des escorts. À la différence des prostituées de rue ou dans les boxes, les escorts prennent contact avec le client très souvent via une annonce écrite sur Internet. Le rapport avec le client est lui aussi différent. Les escorts vont privilégier le « social time », c’est-à-dire qu’un temps plus ou moins long est accordé à la discussion lors de la rencontre avec le client. Le concept GFE (Girlfriend Experience) est lié à celui d’escorts, puisque ces dernières vont se comporter comme si elles étaient la petite amie de leur client. Celui-ci ne paiera pas uniquement pour un service mais plutôt pour un forfait d’une heure. Les relations sexuelles ne sont pas pour autant bannies lors de l’escorting. Violetta quant à elle considère sa période de rencontre comme de l’escorting et du GFE.

 

La prostitution étudiante et la précarité

Aujourd’hui, avec un peu de recul, Violetta nous parle de sa vision de la prostitution étudiante comme de l’escorting. Des rencontres qui se déroulent dans un certain respect au moment et à l’endroit où on le souhaite. Être sous la coupe d’une maison d’escorting ne ressemble pas à une escort, mais se rapproche plus de la prostitution classique.

« Les filles qui louent une chambre d'hôtel et font 10 passes par jour, ce n'est pas de l'escort, même si les agences le vendent comme tel. »

Quand je lui demande si elle est devenue escort pour de l’argent, Violetta répond que ce qu’elle a « gagné ne [lui] sert à rien ». Elle ajoute que ses parents lui donnent le minimum et que ça lui suffit.  Et si les fins de mois sont un peu difficiles, elle donne des cours de soutien scolaire pour compenser. Sur le montant gagné, elle a déjà « claqué pas mal d'argent pendant les soldes ».

« Je me suis fait des petits plaisirs, des trucs que je n'aurais pas pu me payer autrement. Mais que du superflu. »

La démarche de Violetta ne s’inscrivait donc pas dans une nécessité purement pécuniaire, mais plutôt dans un but de réaliser ses fantasmes et tester ses limites.

« Après, les filles qui sont obligées de se prostituer pour payer leurs études... je trouve ça très triste et j'espère ne jamais être dans cette situation. »

 

Une mauvaise histoire : un accident qui peut arriver à tout le monde

Violetta a arrêté ses rencontres. Un nouveau copain, un rapport qui ne s’est pas déroulé comme prévu avec un client et la peur de la transmission du VIH/ IST l’ont conduite à arrêter. Un problème de préservatif, ça peut arriver à n’importe qui, mais l’incertitude de l’état de santé du partenaire peut provoquer des crises de panique. Si Violetta se décrit comme libertine, elle a choisi aujourd’hui de ne pas mettre en danger son ami. Comme pour les personnes qui ont eu des relations à risque, Violetta a dû suivre une trithérapie d’urgence. Encore peu connu ce traitement permettrait « de diminuer le risque de contamination effective lorsqu’on a été exposé au VIH ».

Un coup de fil passé à un centre de santé de l’Université de Liège nous confirme qu’un préservatif –peu importe la marque ! – peut se déchirer au cours d’un rapport. Dans le cas d’une relation à risque, il est nécessaire de consulter un médecin qui pourra décider s’il y a lieu de suivre une trithérapie d’urgence.

Dans ce cas-ci, l’escorting ne s’est pas réalisé sous la contrainte financière. Mais la question de l’argent n’en est pas moins absente ; celle de la précarité non plus. L’isolement social dans lequel la société plonge trop rapidement les personnes ayant des relations sexuelles tarifées n’est-il pas un vecteur d’une certaine précarité ?

L’escorting n’est pas toujours considéré comme de la prostitution par ses pratiquant-e-s. Certains trouveront cette manière de voir les choses trop édulcorée puisqu’elle ne met pas en avant le caractère sexuel. Dans tous les cas, parler de service sexuel nous renvoie à nos tabous et à notre morale. Chacun ayant ses propres sensibilités et la société ayant connoté négativement—pour des raisons de santé et d’ordre moral, principalement— le terme de « prostitution » et ses variations, il est donc très délicat de vouloir poser des étiquettes.

Il m’importe de rappeler que si actuellement, en Belgique, les travailleurs du sexe ont des devoirs, ils-elles ne bénéficient « pas des mêmes droits ni de la même protection sociale que les autres citoyens[6] » !

 


[1] Nom d’emprunt

[5] Ancienne prostituée et administratrice de l'association Espace P. Article consultable ici http://www.uclouvain.be/99025.html

[6] Extrait de « Paroles de Personnes prostituées (et de clients) » publié par Espace P…