Société
Gérant de magasin de nuit : un sociologue en immersion
29 mars 2022
Travailler dans un night shop, c’est aussi discuter, échanger, communiquer avec des individus sur des choses qu’ils ont vécues, et qui parfois, leur ont laissé des traces.
Il est 17h, l’heure d’ouverture du magasin. Il faisait déjà nuit quand le gérant du nightshop inséra les clés dans le grillage du bâtiment. En entrant, sur le sol, on peut encore apercevoir les traces de pas des clients de la veille. Il faut passer le balai. Dans le frigo, il manque quelques Jupiler et Carapils. Il est important qu’il soit rempli parce que beaucoup préfèrent les boissons fraîches. Il faut aussi vérifier que les bouteilles d’alcool les plus vendues soient au froid. Il y a beaucoup d’habitués qui viennent chercher leurs vins ou leurs rosés hebdomadaires.
Une dame, la cinquantaine, vient chercher quotidiennement son rosé portugais. Même si le magasin a une grande variété de bouteilles, la dame n’en aime qu’un seul : Le rosé portugais. Alors il faut s’assurer qu’il y en ait toujours un au froid.
« Il faut s’adapter car il y a toutes sortes de personnes » me confiait un gérant de magasin de nuit. En effet, Bruxelles est une ville cosmopolite donc d’emblée on est confronté à une clientèle hétérogène qui n’a pas les mêmes sensibilités et les mêmes caractères. Certains sont joviaux, d’autres pressés, fatigués, stressés, etc. On a parfois l’impression d’être une sorte de « pause » dans la vie des individus qui viennent combler leurs besoins d’une manière rapide et simple. Il y a donc des individus d’origines, d’âges, de cultures, de genres ou de métiers divers. La plupart du temps cela se passe en français, mais aussi en anglais, en turc et parfois même en allemand. Comme cette fois où deux individus entrèrent dans le magasin et s’en est suivi une conversation mi-anglaise, mi-allemande : « Möchten Sie eine Kälte Flasche ? » (Voulez-vous une bouteille froide ?). « Ja, natürlich». (Oui, naturellement).
Plus tard dans la nuit, les livraisons de boissons et de tabac arrivent. Le livreur dépose les colis dans le magasin, prends son dû, et rebrousse chemin vers la sortie. Il faut déballer les packs de boissons et les paquets de cigarettes de façon à pouvoir les placer au frigo ou dans l’étalage à tabac. « Lorsque l’on travaille dans un night shop, on se rend compte de la quantité énorme d’emballage en plastique» lançait le commerçant en déballant les emballages de canettes de Fanta.
Travailler dans un night shop, c’est aussi discuter, échanger, communiquer avec des individus sur des choses qu’ils ont vécues, et qui parfois, leur ont laissé des traces. Un jour, un homme d’une quarantaine d’années est venu, il a raconté d’une manière émouvante comment il a été en Syrie pour essayer de retrouver son fils. Une autre fois, deux garçons d’origine polonaise, des habitués, entrèrent dans le magasin pour acheter une demi-douzaine de bières, il leur manquait 1 euro pour leurs bières, un autre client paya la différence. Il dit que ces deux gars sont ses voisins et qu’ils ont protégé sa femme quand elle s’est fait harceler en rue il y a quelques mois.
Vous l’aurez compris, un gérant d’un magasin de nuit, aussi appelé péjorativement « Paki » à Bruxelles, n’est pas simplement un vendeur. C’est aussi un sociologue en immersion, un psychologue, un coach de vie, un médiateur culturel, une connaissance, un ami ou parfois juste un individu à l’écoute.
Yusuf Acet
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