Société

Femmes dans les forces de l'ordre : stratégies d'adaptation et violences en milieu masculin

4 décembre 2024

© Photo: Canva

Dans un contexte où les forces de l’ordre sont souvent perçues comme agressives, les témoignages de plusieurs mères issues de l'immigration révèlent une facette troublante des interventions policières : la violence exercée par des policières. Ces mères racontent les agressions verbales et physiques que leurs enfants ont subies, parfois sous les yeux de policières dont l'attitude exacerbe des situations déjà tendues. Si ces comportements semblent contraster avec les stéréotypes féminins, ils ne sont pas sans explication. En effet, pour de nombreuses policières, adopter une posture agressive devient une stratégie d’intégration dans un milieu professionnel dominé par des normes masculines. Si ces policières manifestent quasi systématiquement des comportements violents, c’est parce que l’agressivité leur permet de s’intégrer dans un milieu masculin.

Une mère (Rita) se souvient vivement de l'incident survenu à l'école, lorsque les policiers sont intervenus. Une policière s'est adressée à son fils de manière agressive : « Tu insultes ta maman à la maison ». Choquée par cette accusation, la mère a tenté de répondre, affirmant que son fils ne l'avait jamais insultée. La policière l'a interrompue en disant : « Ce n'est pas à vous que je m'adresse.»

Rita a ressenti une profonde injustice et une frustration intense lorsque la policière a semblé ignorer son rôle de mère et de représentante légale de son enfant mineur. Elle a exprimé son indignation en soulignant qu'en tant que mère, elle devait parler au nom de son enfant : « C'est une policière qui s'adresse à une mère supposée parler à la place de son enfant, puisque mon enfant est mineur. Je suis la représentante légale de mon enfant, je suis la mère de Mathis.»

Une autre mère (Selma) raconte l'intervention d'une policière raciste qui a exacerbé la situation en insultant les jeunes présents et en désobéissant aux ordres de son supérieur, qui cherchait à calmer les choses : « Depuis ma fenêtre, j'ai vu une policière raciste insulter les jeunes pour provoquer une réaction. C'était une scène d’une violence et d'agressivité. Ils ont embarqué un gosse de 13 ans qui n'avait rien fait. Ils l'ont frappé, insulté et vraiment mis à mal.»

Stratégies d'adaptation des policières dans un milieu masculin

Susan Ehrlich Martin décrit ce phénomène de « déféminisation », où les femmes dans des environnements dominés par des normes masculines, comme la police, adoptent des caractéristiques associées à la masculinité - telles que l'usage de la force, la brutalité et l'assurance - pour s'intégrer et être respectées par leurs pairs. Les expériences rapportées par les mères, où la violence des policières a exacerbé des situations déjà tendues, illustrent cette dynamique. La scène décrite par Selma, où une policière a délibérément provoqué une réaction violente des jeunes tout en désobéissant aux ordres de son supérieur, témoigne de cette agressivité excessive comme stratégie de survie et d'affirmation dans un milieu professionnel marqué par la masculinité hégémonique[1].

Latifa décrit comment son fils a accouru à la maison pour l'informer que l'aîné avait été giflé par une commissaire de police. À leur arrivée, ils constatent que la commissaire, une femme, se montre extrêmement agressive et provocatrice envers le mari et le fils, exacerbant la situation par sa violence : « Mon fils en courant vient à la maison pour m'informer que l'aîné a été giflé par la commissaire de police. Mon premier réflexe est de me hâter après mon époux pour intervenir, prenant juste le temps de revêtir ma jellaba. La commissaire se montre très agressive et provocatrice envers mon mari et mon fils. »

Ce comportement, qui contraste avec les stéréotypes de féminité, peut être compris à travers plusieurs observations issues de la littérature. Cara E. Rabe-Hemp souligne que les femmes dans les forces de police ne se conforment pas toujours aux comportements stéréotypiquement féminins. Au contraire, elles peuvent adopter un éventail plus large de styles de maintien de l'ordre, parfois même en usant d'une agressivité qui défie les attentes sociétales traditionnelles. Ce besoin d'adopter des stratégies comportementales agressives est également soutenu par Joan Acker qui argumente que les contextes institutionnels, notamment ceux dominés par des hommes, souvent les femmes sont contraintes d'adopter des stratégies comportementales pour naviguer et atténuer la discrimination qu'elles subissent en raison de leur genre. Cela peut expliquer pourquoi certaines policières, comme celles décrites par les mères de notre étude, se montrent particulièrement violentes lors des interventions, en tentant de surmonter la discrimination de genre par un excès d'agressivité.

La catégorisation proposée par Susan A. Grennan, qui distingue les policières « agressives » des « passives », trouve ici une résonance directe. Selon ses termes, « l'agressivité est utilisée pour surpasser les pairs masculins machistes »[2]. La profession policière est masculine par construction sociale, car l'application de la loi est généralement associée à un comportement agressif, à la force physique et à la solidarité[3]. Ce comportement va à l'encontre des attentes sociales de gestion émotionnelle attribuées aux femmes qui sont censées par la société être « plus gentilles que nature » tandis que les hommes sont censés être « plus méchants par nature[4] ». Cette attente sociale de gestion du travail émotionnel place les officières dans une position unique[5], aggravant le sentiment d'injustice ressenti par les familles touchées, comme en témoignent les réactions de mamans. Les témoignages recueillis mettent en lumière la complexité des interactions entre les femmes dans les forces de l’ordre et les familles de mineurs racisés. Les policières, souvent contraintes de revêtir des comportements agressifs pour s’affirmer dans un milieu professionnel dominé par les hommes, exacerberaient ainsi la violence dans des situations déjà tendues. Cette dynamique, qui défie les stéréotypes de féminité, contribue à accroître le sentiment d'injustice parmi les familles touchées.

Par Aboutaiab Hajar

Pour plus d’informations relatives à cette étude, l’auteure peut être contactée par email : hajaraboutaiab@hotmail.it


[1] Connell, R. W. (1995). Masculinities. Berkeley: University of California Press

Connell, R. W., & Messerschmidt, J. W. (2005). Hegemonic masculinity: Rethinking the concept. Gender & Society, 19, 829-859.

[2] Grennan, S. A. (1987). Findings on the role of officer gender in violent encounters with citizens. Journal of Police Science and Administration, 15, 78–85.

[3] Crank, J. P. (1998). Understanding police culture. Cincinnati, OH: Anderson

Garcia, V. (2003). “Difference” in the police department. Journal of Contemporary Criminal Justice, 19, 330-344

[4] Forseth, U. (2005). Gender matters? Exploring how gender is negotiated in service encounters. Gender, Work, and Organization, 12, 440–459

[5] Garcia, V. (2003). “Difference” in the police department. Journal of Contemporary Criminal Justice, 19, 330-344