Société
Dans la tête des jeunes
14 octobre 2021 - par Abdoulaye Bah
© Photo par Bicanski de Pixnio
Entre la peur de contaminer sa famille et les mesures sanitaires restrictives que nous avons connues pendant près d’un an et demi, beaucoup de jeunes ont été psychologiquement affectés par la crise du Covid. Rencontre avec la docteure Naïma Ben Addi, pédopsychiatre, qui nous parle de son travail en ces temps chamboulés.
Madame Ben Addi travaille pour Exil Asbl et exerce également dans son cabinet privé à Bruxelles. Ses patients sont des jeunes enfants, des adolescents et leur famille. Avec Exil asbl, elle travaille beaucoup avec des demandeurs d’asile.
Une crise qui n’est pas finie
Elle explique qu’il y a eu plusieurs temps dans cette crise du Covid. Lors du premier confinement, il a fallu trouver des moyens pour rester en lien avec les patients, malgré les restrictions sanitaires. Grâce aux applications et à l’usage des visioconférences, cela a été possible. Au début, il a surtout fallu soutenir les familles pour qu’elles s’adaptent à la situation. Le rythme de vie des personnes a été chamboulé. Comme les enfants et adolescents n’allaient plus à l’école, il a fallu trouver d’autres moyens de structurer le temps et trouver des manières de s’occuper autrement. Selon elle, cette période a été plutôt bien vécue par la majorité de ses patients.
C’est dans un deuxième temps qu’elle a pu remarquer une montée en flèche de l’anxiété, surtout chez les adolescents. Après avoir été privés si longtemps de contacts sociaux, ils ont commencé à développer des phobies scolaires et sociales, c’est-à-dire des angoisses d’aller à l’école ou même de devoir sortir rencontrer d’autres personnes. Beaucoup de jeunes étaient démotivés et en décrochage scolaire. Ils n’arrivaient pas à suivre les cours dans ces conditions, que ce soit en étant à la maison, ou par la suite, en devant retourner à l’école.
Depuis quelques mois, elle voit de plus en plus d’adolescents arriver chez elle, alors que cela fait plusieurs mois qu’ils ne vont pas bien. Les hôpitaux et les infrastructures de soin ont été très rapidement saturés et la priorité était donnée aux cas les plus graves. Certains jeunes sont donc toujours en attente de prise en charge. « Actuellement, nous sommes dans une phase de « rattraper le retard ». Les choses vont aller en s’améliorant, mais doucement. Les impacts du Covid ne sont pas encore terminés », dit-elle.
Le numérique dans le viseur
La docteure a pu observer ce que l’on appelle « la fracture numérique ». Tous les jeunes ne sont pas égaux dans leur facilité d’accès à internet, applications et programmes virtuels. Certains jeunes avaient donc beaucoup plus de difficultés que d’autres à pouvoir suivre les cours en distanciel, ou a conserver un peu de contacts sociaux via internet.
Le distanciel a également eu des impacts sur la manière dont elle pouvait faire son travail. Elle a pu remarquer que ses patients se livraient beaucoup moins à elle lorsque les consultations se faisaient par téléphone ou vidéo. Les technologies diminuent l’intimité, le climat de confiance. Lorsque les séances ont pu reprendre en présentiel, beaucoup de patients se sont confiés plus longuement et plus en détails sur des évènements ou des ressentis.
Elle ajoute que, même si cela peut paraître étonnant, ce sont surtout les jeunes qui ne voulaient pas faire de séance à distance. « On pense qu’ils sont plus connectés, toujours avec leur smartphone, mais en fait, les adolescents étaient beaucoup plus réticents à cette idée, surtout aux séances vidéos ». Elle explique cela notamment par le fait qu’à l’adolescence, la question de notre image est très importante, et que ça semblait difficile aux jeunes d’être confrontés à leur image comme c’est le cas avec les applications vidéos.
Des jeunes particulièrement isolés
Beaucoup d’autres facteurs, en plus de la fracture numérique, jouent un rôle dans les difficultés importantes qu’on vécu certains jeunes par rapport à d’autres. Ainsi, par exemple, le confinement a été très difficile pour beaucoup de jeunes réfugiés, de par l’isolement qu’il a créé. Beaucoup de jeunes sont arrivés tout seuls en Belgique, ils n’ont pas de famille, pas d’entourage, moins de connaissances. Ils n’ont pas le même réseau que chacun crée en grandissant quelque part. Pour beaucoup d’entre eux, le principal endroit de sociabilisation est l’école. Pour ceux qui vivent en logement individuel, ils se sont ainsi retrouvés coupés de tout contact, sans famille, et sans endroit ou rencontrer d’autres jeunes. Pour ceux qui vivent dans les centres Fedasil ou de la Croix-Rouge, avec d’autres personnes demandeuses d’asile, cela a aussi été difficile, car il y avait beaucoup de mesures restrictives au sein des centres. Ils ne pouvaient par exemple plus manger ensemble dans les réfectoires et devaient manger dans leur chambre. Ils devaient passer la plupart de leur temps confinés dans leur chambre, qui est un espace très restreint.
Des conseils ?
Ce que cette crise peut nous apprendre, c’est à nous poser la question de « Comment réagir aux imprévus dans notre vie » ? Nous vivons dans une société qui est beaucoup dans le contrôle, dans l’anticipation. Nous essayons de construire notre bonheur et nous nous en sentons responsables. Avec le covid et les mesures sanitaires, nous n’avions plus le contrôle sur beaucoup de choses. Pour beaucoup, toutes les activités de leur vie ne pouvaient plus avoir lieu, car elles étaient tournées vers l’extérieur. C’était donc difficile de trouver du sens dans ces conditions. Les difficultés n’étaient pas les mêmes non plus, en fonction des milieux sociaux. Par exemple, les milieux favorisés ont beaucoup souffert d’une certaine manière, car ils étaient privés de leurs loisirs : les voyages, les vacances au ski,… Or, dans d’autres milieux, ces loisirs n’existaient déjà pas. Mais d’autres problèmes se sont aggravés, au niveau économique ou au niveau de l’accès au logement par exemple.
Selon Madame Ben Addi, nous devons essayer d’accepter l’imprévu dans nos vies. En acceptant que nous ne pouvons pas tout contrôler, nous vivons plus dans le moment présent et moins dans l’angoisse du futur. Nous devons nous dire « Ok, la situation est comme cela, alors maintenant, comment puis-je faire pour vivre avec ? ». Il faut essayer de ne pas être dans l’attente que les choses s’arrêtent ou changent, mais continuer à vivre alors qu’elles sont d’une certaine manière, et nous y adapter.
Exil est un centre de Santé Mentale proposant un accompagnement psycho-médico-social individuel, familial ou en groupe aux personnes réfugiées, ainsi que pour les personnes qui ont été victime de torture et/ou de violence organisée dans leur pays d’origine. http://exil.be/
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