Société
Belge une fois ! Mais toujours Arabe
27 mars 2020
Parfois, je me sens un peu comme dans la chanson du groupe Sniper : "En France, je ne suis qu’un immigré, au bled, je ne suis qu’un Français".
Bonjour Miriam, peux-tu te présenter ?
Bonjour, je m’appelle Miriam Ben Jattou, je suis juriste, née en Belgique, d’origine Belgo-tunisienne. J’ai fondé une association, Femmes de droit - Droit de femmes, qui travaille sur les discriminations systémiques que subissent les femmes et les minorités, car je suis consciente que l’accumulation des critères de discrimination multiplie les oppressions.
Comment vis-tu avec tes deux origines culturelles ?
C’est compliqué parce que pour certaines personnes d’origine belge, je suis soit considérée comme moitié Tunisienne ou soit comme totalement Tunisienne ou Arabe, mais sans jamais me reconnaître mon autre origine, celle de ma maman Belge. Avec mes deux origines, je me sens un peu comme dans la chanson du groupe Sniper : "En France, je ne suis qu’un immigré, au bled, je ne suis qu’un Français". Donc, je suis toujours l’étranger peu importe où l’on se trouve. Bien que mon papa soit Tunisien, j’ai reçu principalement les codes de l’éducation belge et blanche, ce qui, en plus de mon faciès non-arabe, a facilité mon intégration dans la société par rapport au racisme. Dans ma fonction de juriste, mes différentes origines, me permettent de me décentrer. Surtout lorsque j’accompagne des gens qui n’ont pas la même culture que moi, ça me permet de me dire que leur culture n’a pas moins de valeur que la mienne.
Vis-tu des discriminations à cause de ton origine tunisienne ?
Oui ! Les discriminations que je vis sont surtout liées à mon nom de famille de consonance arabe. Après mes études de juriste, avec mon amie, au nom de famille bien belge, on s’est mises à postuler dans les mêmes endroits, alors que mon C.V était bien mieux fourni que le sien, en termes de stages et de cursus, elle décrochait bien plus d’entretiens que moi.
De Miriam Ben Jattou à Miriam Baudoux…
Il y a 2 ans, lorsque j’ai voulu me réorienter professionnellement, je me suis mise à renvoyer des C.V un peu partout, mais sans retours positifs. Alors, j’ai repensé à cette histoire avec mon amie et j’ai décidé d’emprunter le nom de famille de mon mari, qui est d’origine belge. J’ai renvoyé mes C.V, aux mêmes endroits, mais cette fois-ci, au nom de Miriam Baudoux et comme par miracle j’ai obtenu des entretiens.
Que voudrais-tu dire face à ces inégalités structurelles ?
Qu’il est important de se rendre compte que le soi-disant manque d’intégration de la population ‘étrangère’ est tout simplement lié aux discriminations quotidiennes. Moi en tant que madame Ben Jattou je ne pouvais que louer un logement et en tant que madame Baudoux je peux l’acheter.
Et aux femmes racisées victimes de discriminations, que voudrais-tu leur dire ?
Que nous sommes légitimes dans notre sentiment d’injustice. Parce qu’on dit souvent qu’on exagère et qu’on ne doit pas toujours tout mettre sur le dos du racisme. Bien sûr qu’il ne faut pas tout mettre sur le dos du racisme, mais cela existe, qu’il ne faut pas tout mettre sur le dos du sexisme, mais cela existe également. De ce fait, il est normal de penser au racisme et/ou au sexisme lorsqu’on n’est pas reçue à un entretien d’embauche. Oui, nous avons le droit d’être en colère et de l’exprimer.
Selon toi, y a-t-il des solutions pour diminuer le racisme en Belgique ?
Certes, nous vivons dans une société raciste et chacun d’entre nous est porteur de préjugés, même inconsciemment. Mais nous pouvons les déconstruire et passer à autre chose. Pour moi cette déconstruction, ne peut passer que par une éducation cohérente, c’est à dire sensibiliser les adultes avant les enfants à une vraie éducation à la multiculturalité.
Interview réalisée par KAÏS BEN JATTOU, Stagiaire dans l’équipe de Magma
Avec le soutien de
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L’expérience des personnes discriminées est une expertise !
Intersectionnalité, un terme qui laisse perplexe quand on n’y connaît rien. Pour répondre à mes interrogations, j’ai interviewé Aïda Yancy, historienne spécialisée dans les questions de race, de genre, d’orientation sexuelle, d’oppression et de domination sociale.
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Intersectionnalité, minorités ! Ce n’est pas que pour la rime que les racisé.e.s donnent de la voix !
Toujours plus de signalements de discriminations ! Raciaux (33,9%), handicap (23,6%), convictions religieuses ou philosophiques (12%), l’orientation sexuelle (+48,8% par rapport à 2017), la fortune (+24%) et le handicap (+17,1%). (UNIA-Centre interfédéral pour l’égalité des chances- Rapport 2018).