Relations
Réfugiés LGBT : la minorité dans la minorité
27 mars 2018
© Oliviero Lorenzo Aseglio
Oliviero est engagé depuis plusieurs années dans la défense des droits LGBT à Bruxelles. Dans un contexte national et international de plus en plus préoccupant, où migrations et conflits reviennent quotidiennement sur le devant de la scène, il insiste sur la pertinence d'une perspective croisant racisme et homophobie, ainsi que sur la nécessité de protéger « la minorité dans la minorité ». Depuis les locaux de la RainbowHouse dont il est désormais le porte-parole, il nous parle de sa mission dans une ville comme Bruxelles.
Parcours et expérience en Russie
Né en 1986 à Namur au sein d’une famille très engagée à gauche, Oliviero suit une formation de journalisme à Louvain-la-Neuve avant de se tourner vers le théâtre, qu’il étudie à Bologne en Italie. A la suite de ses études, il part plusieurs mois à Moscou dans le cadre d’un programme citoyen, et est confronté à la censure imposée par l’Etat. Une loi récemment passée lui interdit en effet d’aborder certaines thématiques comme l’alcool, la drogue et la politique, mais également de « faire la promotion de l’homosexualité » en évoquant l’existence de cette réalité[1].
« A mon arrivée à Moscou et bien que j’aie reçu à plusieurs reprises un avertissement de la directrice de l’Institute of Humanitarian Development dans lequel je travaillais, je ne prenais pas réellement ces consignes au sérieux. Un jour que je me trouvais sur un pont dans le centre-ville, j’ai été interrogé par une équipe de télévision française sondant l’opinion des passants quant aux lois récemment passées et réprimant l’homosexualité. C’est en apprenant que dix-huit des dix-neuf personnes interrogées à l’instant sur ce même pont où je me trouvais approuvaient ces lois qu’un déclic s’est opéré dans mon esprit ».
Protéger la minorité dans la minorité
De retour en Belgique, en juillet 2014 il accepte un poste de chargé de projets sociaux et interculturels à la RainbowHouse, avec l’ambition de se concentrer sur des questions de discriminations homophobes et racistes liées aux migrations internationales. Au sein de cette organisation « chapeau » regroupant de nombreuses associations LGBT[2] bruxelloises, Oliviero collabore à divers projets d’aide aux personnes LGBT en contexte interculturel. La RainbowHouse, dont Oliviero est devenu porte-parole l’année dernière, accueille ainsi par exemple des demandeurs d’asile afin de leur permettre de parler de leurs expériences et leur donner des conseils et des explications concernant la société belge.
« Etant donné que nombre de demandeurs d’asile viennent de pays qu’on pourrait difficilement qualifier de « gay-friendly », il est important de leur expliquer qu’ici devant un juge ou agent de l’Etat ils peuvent s’exprimer en toute sécurité sur leur orientation sexuelle. La situation est d’autant plus difficile pour eux qu’ils sont souvent victimes de violence de la part de compatriotes jusque dans les centres d’accueil situés en Belgique. C’est la raison pour laquelle la RainbowHouse souhaiterait la création d’un centre d’accueil de réfugiés spécifiquement destiné aux personnes LGBT ».
Des formations sont également organisées à destination de travailleurs sociaux ou de personnes perturbées par une possible tension entre leur foi religieuse et leur orientation sexuelle. D’autres ateliers encore s’organisent en collaboration avec les forces de l’ordre et ont pour but de permettre à ces dernières de mieux réagir face à des situations impliquant un public LGBT.
« Dans une ville comme Bruxelles où cohabitent environ cent-quatre-vingt-trois nationalités différentes et où les deux-tiers des habitants ont au moins un parent né à l’étranger, il existe très naturellement énormément de manières différentes de vivre son homosexualité, selon sa culture d’origine. Impossible donc d’aborder des thématiques de genre et de sexualité sous un angle exclusivement « belgo-belge » ».
La communauté LGBT comme instrument de valorisation
Mais derrière l’image de tolérance affichée par certains pays et groupes politiques se cachent parfois des intérêts moins honorables. Oliviero déplore ainsi les pratiques de « Pink-washing» visant à instrumentaliser la communauté LGBT pour se mettre en avant par rapport à d’autres pays. On peut assister selon lui au niveau mondial à une dichotomisation croissante entre un premier groupe de pays issus d’Afrique, du Moyen-Orient mais également la Russie, le Brésil etc. condamnant l’homosexualité comme étant une pratique « occidentale », et un deuxième groupe mettant en avant sa tolérance affichée pour discréditer ses adversaires et se poser en démocratie modèle. La communauté LGBT et tout ce qu’elle peut représenter en termes de luttes sociales est à ce moment-là réduite au rang de simple instrument de valorisation et de lutte de pouvoir. Un autre exemple donné par Oliviero est la position pro-LGBT adoptée par une grande partie de l’extrême-droite européenne, historiquement hostile à toute manifestation d’émancipation sexuelle.
« Israël sur ce point-là est un cas d’école. Sous couvert de démonstration de tolérance envers la communauté LGBT, le gouvernement actuel cherche à se faire bien voir tout en disqualifiant les palestiniens en insistant sur le fossé existant entre les deux populations en termes de protection des communautés homosexuelles[3]. En parallèle à cela des pays comme le Maroc, riches d’une très vieille tradition homosexuelle, durcissent leur attitude sur ce sujet. On assiste de manière générale à une certaine crispation et il est devenu difficile de ne pas se faire instrumentaliser ».
Une situation internationale préoccupante
De manière générale, on peut se rendre compte que la situation des communauté LGBT demeure très précaire dans de nombreuses régions du monde. En plus de l’exemple déjà cité de la Russie, où la société traditionnelle pousse au durcissement de politiques déjà ambiguës concernant les « sexualités non traditionnelles[4] », on peut également mettre en évidence la situation de nombreux pays d’Afrique sub-saharienne[5] où l’homosexualité est considérée comme un « mal » venu d’Occident et demeure un crime passible de lourdes peines[6].
« L’homosexualité est quelque chose de purement biologique et est également répartie dans toutes les régions du monde. On estime qu’un individu sur vingt naît homo, bi ou trans. C’est quelque chose qui n’évolue pas avec la mode ou les époques, seules la possibilité et la manière de l’exprimer évoluent. En Tchétchénie par exemple on dit que l’homosexualité est occidentale et n’existe pas dans le pays, mais la vérité c’est qu’on tue les homosexuels. Tout ça c’est une construction de l’identité ».
La communauté LGBT en Belgique
De manière générale, nous dit Oliviero, il est plus fréquent pour une personne LGBT de venir vivre dans une grande ville comme Bruxelles que de rester vivre dans une zone rurale. Si on couple ce constat avec le fait que la capitale Belge attire également par-delà les frontières nationales, on comprend que l’aspect « gay-friendly » soit cher à la ville[7].
Oliviero se dit également très fier de Bruxelles concernant la mobilisation citoyenne et du monde artistique qui s’est mise en place pour l’accueil des demandeurs d’asile. S’il convient que beaucoup reste à faire en Belgique dans la lutte croisée contre le racisme et l’homophobie, notamment via une meilleure coordination des différents gouvernements, il retient tout de même beaucoup de points positifs :
« De manière générale la communauté LGBT bénéficie d’une attitude bienveillante de la part tant des médias que du monde politique. Je pense également que dans peu de pays on trouve des agents de police assistant à des formations de sensibilisation sur ce thème. Enfin j’ai l’impression que les nouvelles générations ont un esprit plus ouvert et acceptent plus facilement la différence. On ne peut pas dire que les choses en Belgique évoluent de manière négative. Être dans la critique et le pessimisme constant est pour moi quelque chose de contre-productif ».
Et Oliviero de terminer sur l’importance de s’investir aujourd’hui pour les droits LGBT :
« Même si elle va globalement dans le bon sens, l’évolution sur le sujet en Belgique reste lente et on n’est jamais à l’abri d’une régression. S’afficher dans la rue par exemple, simplement via la couleur d’un vêtement, reste « tendu » et beaucoup reste à faire pour changer les esprits ».
[1] Cette loi votée en 2013 interdit en effet la « propagande pour les relations sexuelles non traditionnelles» en abordant publiquement des thèmes LGTBQI+ ou en organisant des rassemblements publics sur ces thèmes, sous peine de poursuites pouvant mener à la prison (Russie: cette loi qui interdit la «propagande homosexuelle», article publié le 17 mai 2016 sur www.rfi.fr)
[2] Le sigle LGBT signifie lesbienne, gay, bisexuel, transsexuel
[3] Voir sur ce sujet le site de l’organisation Pinkwatching Israel : http://www.nopinkwashing.org.uk/
[4] Russie: cette loi qui interdit la «propagande homosexuelle», article publié le 17 mai 2016 sur www.rfi.fr
[5] “Homosexualité, politique, religion : l’Afrique, le continent homophobe ? », dossier publié le 17/02/2014 sur Jeune Afrique : www.jeuneafrique.com
[6] “L’Afrique est-elle homophobe?» article publié le 11/01/2010 sur Jeune Afrique: http://www.jeuneafrique.com
[7] Le site officiel de la ville de Bruxelles en matière de tourisme offre par exemple des circuits axés sur un public LGBT : https://visit.brussels
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