Relations
Isaac : « Moi, c'est il »
25 septembre 2016
© Isaac
Est-il possible que l'identité de genre ait différentes facettes ? Comment gère-t-on les questions liées au genre quand on est jeune ? J'ai rencontré un jeune trans qui a vécu en Belgique qui a accepté de revenir sur son adolescence et sur ses démarches administratives et médicales.
Alors que j’effectuais des recherches sur les personnes transgenres[1] en Belgique, Isaac, un jeune Français de 28 ans, m’a été très vite recommandé.e[2] comme un témoin de référence. Durant les quelques années passées dans notre plat pays, il a obtenu un diplôme et s’est engagé.e pour la cause des personnes trans auprès de l’association idenTIQ.
Durant son enfance, Isaac ne se sentait pas en accord avec son corps. Quand il évoquait ses questionnements avec ses parents, ceux-ci pensaient qu’il était un « garçon manqué », que ça allait lui passer, et ne s’en préoccupaient pas. De son côté, il espérait qu’à la puberté, on découvrirait qu’il était intersexué[3] – ce qui ne fut pas le cas.
« Je détestais les choses pour filles, et je ne voulais pas être perçu comme une fille. Mais lorsque les gens me prenaient pour un garçon, j'avais l'impression que c'était mal d'aimer ça, et je corrigeais leur erreur. »
De fait, son adolescence ne s’est pas déroulée comme espéré. Les changements physiques furent difficiles à vivre. Ce n’est que vers 17 ans, alors qu’il était au lycée et qu’il passait du temps sur Internet, que la mention du mot « transsexuel » dans une discussion a attiré son attention. La définition de l’époque n’était « pas très glorieuse » mais, les mots ont résonné en lui.
À partir de cette prise conscience, il commence à se renseigner et à chercher des témoignages sur des forums. Il rencontre des personnes trans de sa région.
Comprendre pour avancer
Pour m’aider à comprendre le genre, il m’a envoyé cet extrait de sa bande-dessinée. Le genre est un concept qui désigne les rôles, les comportements, les activités et les attributions socialement construits, qu’une société considère comme appropriés pour les femmes et les hommes.
Isaac, lui, se voit comme un tout. S’il ne souhaite pas dévoiler son ancien prénom, il ne veut pas oublier pour autant son passé. C’est une part intégrante de son présent. Il développe en me disant que notre société évolue selon un système binaire : il existerait soit des hommes soit des femmes. Pour Isaac, en fluidifiant notre perception du genre, on remarque qu’« il est plus rare de trouver des binaires autour de nous». Notre discussion nous porte à nous interroger sur la multitude et l’approximation des critères qui nous permettent de définir le sexe d’une personne : les parties génitales, les hormones, les chromosomes, la pilosité, la taille des os… Et qu’est-ce qui permet de définir le genre de quelqu’un? Cette interrogation n’est pas sans nous rappeler la fameuse citation :
« On ne naît pas femme, on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin ». (Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, Gallimard, 1949)
L’histoire se répète
Lorsqu’il fait son coming-out auprès de ses amis, certains pensent qu’il est en manque d’attention. Considéré.e comme un.e excentrique, on pense que ça lui passera. Mais les questions que ses recherches ont soulevées en lui débouchent sur d’autres interrogations. Une deuxième crise d’adolescence apparaît.
Afin de mettre tout le monde d’accord sur le fait que ce n’est pas une envie passagère, Isaac souhaite que son changement d’identité de genre soit validé de manière officielle. Mais avant de pouvoir entreprendre les changements administratifs, un processus long et difficile est requis par la loi du 10 mai 2007 « relative à la transsexualité», car à la commune :
« il faut présenter une déclaration médicale qui atteste de la conviction intime, constante et irréversible d’appartenir au sexe opposé à celui indiqué dans l’acte de naissance. De plus, pour le changement de prénom, il faut prouver le suivi d’un traitement hormonal et que le changement de prénom est essentiel. Pour le changement de sexe, il faut prouver que l’on a subi une réassignation sexuelle et que l’on n’est plus en mesure de concevoir des enfants. » (Les Cheff)
Ce parcours, il le vit principalement en Belgique. Ce qu’il en retient, c’est que dans son corps, c’était la « guerre des hormones » entre les naturelles et les nouvelles, artificielles. On peut dire qu’il a vécu à nouveau une puberté, mais sous d’autres angles. Il avait la sensation de gagner en violence et de perdre en empathie. Dans ses rapports avec le personnel médical, ce n’était pas beaucoup plus serein. Pour être certain.e de recevoir l’attestation, il se jouait des codes d’expression du genre et surjouait un rôle masculin.
« Je mettais en avant le fait d'avoir abhorré les Barbies, mais je taisais aimer le vernis à ongle ! ».
La vision du genre est tellement normée dans notre société qu’il craignait qu’un écart puisse lui coûter la fameuse déclaration médicale. Selon lui, une certaine pression pèse sur les médecins : on a peur qu’ils n’accordent trop vite l’attestation.
Pour la reconnaissance des personnes trans et des genres fluides
Aujourd’hui, si Isaac a terminé les démarches administratives, il n’est pas prêt.e pour autant d’être débarrassé.e de la prise d’hormones. Stérilisé.e, il devra continuer à en prendre toute sa vie, et regrette amèrement d’avoir dû, dans un moment de grande détresse, choisir entre la reconnaissance de son genre et la possibilité d’avoir des enfants.
« Aucun docteur ne m’a expliqué ce que la stérilisation engendre comme dépendance hormonale, et personne ne m’a demandé, à 18-19 ans, si je pensais vouloir avoir des enfants un jour. Aucun soutien psychologique, c’est très déshumanisant. On n’est pourtant pas des monstres. »
Isaac n’est pas le seul à se plaindre de cette procédure très restrictive. Il convient de rappeler que toutes les personnes trans ne passent pas forcément par l’étape chirurgicale (poitrine/organes génitaux). Il y aurait, en effet, peu de trans à vouloir faire les opérations chirurgicales, ce qui a conduit plusieurs associations LGBTQI et Amnesty International à militer pour l’arrêt de la stérilisation forcée et la psychiatrisation.
Alors que la Belgique a la réputation de défendre les droits humains, elle a été condamnée par l’ONU pour cette pratique car elle viole de nombreux droits. Si les partis flamands sont parmi les meilleurs alliés pour la cause TIQ ( proposition de Koen Geens CD&V pour le changement sans opération), on est encore loin de l’autodétermination comme seul critère pour changer de manière officielle. En plus de l’autodéclaration, Isaac fait le vœu que les personnes trans puissent exister et vivre comme tout le monde. En attirant, par exemple, l’attention sur eux afin de comprendre qui ils sont ou en les reconnaissant de manière administrative (Homme/Femme/X). De cette manière, on leur donnerait le droit d’exister.
Pour plus d’informations et pour toutes les définitions des termes utilisés, voir ces divers sites et leurs lexiques:
- Les Cheffs
- Genres pluriels
- Campagne de sensibilisation des jeunes aux stéréotypes homophobes et transphobes
- Infotransgenre (traduction du site Transgender Infopunt, soutenu par le Gouvernement flamand)
- Transgender Europe
Et on vous recommande de lire : Singmire Haze, écrit et dessiné par Isaac (aka nox.fox), une série de science-fantasy aux sujets de société et d'écologie dans l'air du temps.
[1] Les termes « transgenres (parfois abrégé trans ou trans*), transidentités ou expression de genres ou genres fluides » sont des termes « coupole » désignant des personnes dont l’identité de genre est différente de celle associée habituellement au genre assigné dès la naissance. Le terme transsexuel est mal considéré par une grande partie de la communauté trans.
[2] Pour mon article, j’ai choisi d’opter pour le langage épicène (non sexiste). Isaac est désigné par « il » (pour ne pas perturber le lecteur avec les pronoms yel, ille etc), mais les adjectifs sont accordés de façon neutre.
[3] Personnes présentant des caractéristiques physiques, génétiques et/ou hormonales qui ne sont pas exclusivement mâles ou exclusivement femelles, mais qui appartiennent soit typiquement aux deux, soit à aucun des deux.
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