Relations
Eva et l'amoriña
7 décembre 2016
Le soleil ne faisait pas défaut à Bruxelles en cette chaude journée de juin, le climat était presque méditerranéen et pour un peu on aurait eu l'envie de flâner dans les vieilles rues jouxtant la Place Sainte-Catherine. Cela tombait très bien car différents centres culturels espagnols, le Centro Galego en tête, organisaient la première édition du « Festival Compostela » sur la Place du Béguinage de Saint-Gilles. J'y rencontre Eva, investie au sein du Centro Galego.
Cet évènement, le « Festival Compostela », vise un double objectif : célébrer le départ des pèlerins quittant Bruxelles pour Saint-Jacques de Compostelle, tout en offrant un aperçu du dynamisme des cultures régionales espagnoles dans la capitale belge. Entre une exposition photographique et la scène érigée sur le parvis de l’église, des stands invitent les passants à s’arrêter le temps de déguster un verre de vin ou de manger une assiette de fabadas asturianas. D’élégantes femmes en robes colorées se lancent dans la danse : tango, sevillanas, flamenco... Des chants galiciens s’élèvent et soudainement c’est toute la place qui est transportée dans un autre espace-temps.
C’est dans ce cadre que je rencontre Eva, jeune Bruxelloise de 25 ans, dont l’investissement au sein du Centro Galego est aussi une longue histoire familiale, sa mère étant l’un des membres fondateurs de l’association. Autour d’un verre de vin espagnol, elle me raconte l’histoire de ses appartenances culturelles.
Une enfance galicienne à Bruxelles
Née à Bruxelles d’une mère d’origine galicienne et d’un père andalou, Eva n’a jamais cessé de vivre dans la capitale belge. Scolarisée dans l’enseignement flamand, elle bénéficie étant enfant d’un enseignement bilingue espagnol/néerlandais puis poursuit des études secondaires entièrement en néerlandais. A la maison, vie bruxelloise oblige, c’est le français que l’on parle avec les parents, tandis que l’usage du galicien est réservé aux conversations avec les grands-parents restés en Espagne. Elevée par ses parents « à la galicienne », Eva dit en avoir hérité certains traits de caractère et manies au niveau de sa façon de penser et d’agir ; notamment, avoue-elle, une certaine propension à baser sur des clichés ses relations avec les individus d’autres nationalités. Mais surtout, Eva dit retirer de ses racines une ouverture d’esprit associée à une attirance pour la découverte du monde et un goût pour le chant. Ce goût s’est même transformé en métier puisque, après avoir suivi une formation réservée aux expatriés galiciens, Eva est aujourd’hui animatrice en éveil musical auprès d’enfants âgés de 3 à 14 ans.
Belge en Espagne, espagnole en Belgique
Quand je lui demande de me parler de sa relation à ses multiples identités, Eva admet rencontrer de la difficulté à se définir :
« Quand je suis en Espagne, je me sens belge. Et à l’inverse je me sens espagnole ici en Belgique. Je dirais donc que je me sens belge et espagnole tout à la fois. Pourtant, les deux pays sont très différents au niveau des mentalités ; par exemple, la manière d’accueillir quelqu’un diffère totalement que l’on se trouve en Galice ou à Bruxelles ».
A la question de savoir à quel pays elle se sent le plus attachée, et dans lequel elle se voit vivre son futur, Eva répond qu’elle ne vise pas à rester en Belgique toute sa vie, même si l’hypothétique retour en Espagne a toujours constitué une composante du discours familial, presque un fantasme transmis de génération en génération. « L’année prochaine, on rentre au pays ! » est certainement une phrase lancée régulièrement au sein de beaucoup de familles d’origine étrangère à travers la Belgique, mais qui n’a jusqu’à présent jamais été mise à exécution dans le cas de celle d’Eva.
Pourtant, Eva confie ne rêver son futur proche ni en Belgique ni en Espagne. Elle songe plutôt à partir loin et découvrir le monde.
« J’ai une grande envie de voyager et de voir du pays. Je ne sais pas encore dire exactement où je voudrais aller, mais je voudrais découvrir de nouvelles choses ».
L’amoriña
A ce point de la conversation, Eva me confie qu’une des motivations de ce désir d’ailleurs est le fait de ne pas se sentir entièrement inclue dans la société belge.
« Je n’ai jamais eu à subir de discrimination d’aucune sorte. En fait, mes origines étrangères font qu’à Bruxelles je suis plus la norme que l’exception. Malgré cela, je me sens encore toujours un peu étrangère dans cette ville. Je suis heureuse ici entourée de mes proches, car comme on dit : « les gens font la maison, pas le pays ». Cependant, ce désir d’ailleurs est profondément ancré en moi. Le soleil n’est pas assez présent ici, et ça influe sur mon humeur. En fait, on pourrait dire que je souffre de ce qu’en Galice on nomme l’amoriña, qui réfère à la nostalgie du pays où on n’a jamais vécu ».
Face à cette forme de conflit, Eva prend le parti du partage et de l’enrichissement. En s’investissant énormément pour développer et faire connaitre la culture galicienne, elle érige des ponts entre les différentes composantes de son identité en même temps qu’elle rapproche bruxellois de toutes origines et galiciens. « Démontrer sa culture revient en fait à absorber celle des autres » résume-t-elle.
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