Relations

Amour métissé : melting-pot réussi ou choc des cultures ?

7 avril 2014

© Sang-Sang Wu

Elle, habite la commune bourgeoise de La Hulpe, en Belgique. Lui, vit à plus de 9.000 kilomètres de là, dans un petit village du centre-sud de la Chine. Elle, exprime haut et fort ses opinions. Lui, est plutôt timide et introverti. Rien, a priori, n'aurait dû les rapprocher et encore moins les faire tomber amoureux l'un de l'autre. Et pourtant, même si tout ou presque les oppose, c'est un amour inconditionnel qui lie ces deux tourtereaux rencontrés sur la Toile. Récit.

« On m’a dit : il faut que tu acceptes, c’est comme ça, ici ! »

En février 2011, quand Emilie s’apprête à effectuer un stage en Chine, elle ignore alors que ce choix va changer sa vie. Motivée à l’idée de faire de ce séjour une expérience enrichissante, elle se constitue, avant le départ, un réseau de contacts qui pourra l’aiguiller à Beijing.

Sur le Net, elle fait la connaissance de Xi, un Chinois. Sans grande conviction, ils commencent à converser et une entente cordiale s’installe, à défaut d’un véritable coup de cœur. « Mais une fois en Chine, c’est avec ce petit Chinois tout gentil que je chattais le plus souvent. On se parlait tous les jours pendant des heures », se rappelle Emilie.

De retour en Belgique, la complicité entre ces deux-là ne fait que s’accroître. Débute alors une idylle à distance et très vite, les tourtereaux se mettent d’accord sur le fait que Xi viendra en Belgique. Ce qui signifie devoir passer par la case « mariage ».

C’est ainsi que le 25 janvier 2013, en pleine campagne hunanaise, le couple se dit « oui » pour le meilleur et pour le pire. Elle ne se doutait pas que Xi commencerait par le pire. En dix minutes, emballé, c’est pesé : Xi et Emilie sont mari et femme. Le grand jour, les rites se suivent et se répètent. De la cérémonie au menu en passant par la musique... tout le déroulement de la journée a été minutieusement pensé par les parents du marié. A aucun moment, sa promise n’a voix au chapitre concernant « le plus beau jour de sa vie ». « On m’a dit : il faut que tu acceptes, c’est comme ça, ici ! ».

Si, en Chine, le mariage est un rituel pour les ancêtres, il est avant tout l’occasion de montrer ce que les Chinois appellent « mianzi », c’est-à-dire la « face », l’apparence en somme. Le mariage est alors une question d’honneur et donc forcément d’argent. Aux antipodes des valeurs de la Hulpoise, cette célébration n’est pas au goût de la mariée qui fait contre mauvaise fortune, bon cœur et accepte. « Tu m’as donné le pire mariage qui puisse exister ! », taquine-t-elle son époux qui ne peut que lever les yeux au ciel.

 

Un « Autre » si différent…

Alors que les couples fraîchement mariés songent plutôt à leur lune de miel, Emilie se lance dans les démarches pour que sa moitié puisse la rejoindre. Tous deux savent que le chemin sera long et sinueux. D’autant que dans le cadre d’un regroupement familial, le Belge doit remplir une série de critères liés à la prise en charge de l’époux étranger. « La règle est simple : que l'étranger ne devienne pas un poids pour le gouvernement, et donc que le Belge puisse subvenir à ses besoins ». Ils le savent : ils devront s’armer de patience. Mais à leur grand étonnement, leur demande est immédiatement acceptée. Leur bonne foi a convaincu. « On n’a pas "souffert" des 6 mois d’enquête pour mariage blanc. J’ai décroché un job avant d’avoir fini mes études, j’ai envoyé une lettre manuscrite pour expliquer notre démarche et on n’a pas une grande différence d’âge. Ces petites choses leur ont permis de sentir qu’on n’était pas un "couple suspect" ».

Xi arrive donc en Belgique en décembre dernier. Mais après deux ans et demi de relation à distance, il faut apprendre à vivre ensemble et composer avec cet Autre qui a parfois des habitudes si étranges. D’autant que les fondations de ce couple sont principalement virtuelles. « On a passé ces deux dernières années tout le temps en ligne. Xi ne sortait quasiment plus pour être derrière l’ordinateur et chatter avec moi ». A 24 ans, le jeune homme n'avait jamais quitté sa province natale : « Xi est très casanier et n’est pas très "sociable". Parfois, j’ai peur qu’il soit trop dépendant de moi ». C'est l’une des innombrables questions qui taraude le jeune couple.

 

« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » (Blaise Pascal)

Elle-même le fruit d’un amour métissé, Emilie porte un regard très lucide sur son mariage. « Voir un Belge avec une Laotienne ne m’a pas, en soi, influencée. Par contre, le fait de m’être sentie différente des autres durant mon enfance a été très dur à vivre : j’ai longtemps détesté être à moitié asiatique ». Car « être à moitié » donne souvent la sensation de n’être à sa place nulle part, de n’appartenir à aucune communauté qui lui ressemble. « Quand je suis en Belgique, je ne suis pas Belge à 100%, à cause de ma mentalité et de mon apparence. Et idem quand je suis en Chine ». Mais aujourd’hui, Emilie s’assume pleinement et voit le bon côté : « Cela m’a permis de ne pas faire les mêmes erreurs que mes parents : mon père qui n'a jamais fait l'effort d'apprendre la langue et la culture asiatiques ; ma mère qui n'a pas persévéré quand elle a vu que je parlais plus le français ».

Forte de ces enseignements, la jeune femme envisage sereinement sa relation avec Xi. Elle est consciente de toute l’importance de s’informer sur la culture et les traditions de l’Autre, sans oublier de remettre en question ses capacités à s’y adapter. Loin d’être l’abandon systématique d’une éducation au profit de l’autre, la mixité est la mise en commun de visions différentes mais pouvant être complémentaires. Il s’agit d’être assez ouvert d’esprit pour accepter que les pratiques sociales de l’Autre ne peuvent être jugées selon nos critères. Comme le disait Blaise Pascal, « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà [1]». Alors, l’union mixte est-elle un mélange subtil et harmonieux ou un véritable choc des civilisations ? A chaque couple d’opter pour la manière dont il appréhende son existence.

 

Sang-Sang Wu

 


[1] Ce qui est une vérité pour un peuple, une personne, peut être une erreur pour d'autres.(www.expressio.fr)