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Pauline, future médecin politisée

6 juin 2013

Pauline est étudiante en médecine, elle a 25 ans et vit à Bruxelles. Elle est de nationalité française et d'origine congolaise.

Pourquoi es-tu venue faire tes études en Belgique ?

« Sur les conseils de mon père qui avait fait ses études ici. »

Que penses-tu de ta vie ici ?

« J’ai longtemps été uniquement une étudiante. Quand je voulais aller m’amuser, c’était en France. J’ai eu du mal à couper les ponts. C’est seulement après trois ans, que je me suis dit que ça pourrait être pas mal de découvrir Bruxelles, et la Belgique. Ce n’était pas une idéalisation de la France, non, c’était plus une difficulté à quitter mes repères. Avec la distance, je n’ai pas eu le choix, j’ai du m’en créer de nouveaux ici. J’ai gardé quelques amis là-bas, mais avec le temps, chacun trace sa route, les gens changent, et on est plus forcément sur la même longueur d’onde. Alors j’ai commencé à regarder les gens autour de moi, beaucoup sont venus vers moi. Mes contacts ici sont tous en médecine. »

Facile ou pas d’être expat’ ?

« J’ai quand même de la famille ici, une tante, un oncle… Sans eux, ça aurait été beaucoup plus dur. Je suis venue ici directement après le lycée. Si j’avais poursuivi mes études avec mes amis en France, ça aurait sans doute été plus difficile de partir. »

Comment se répartit ton temps pendant une année scolaire ?

« La première année de médecine c’était que la fac, que la fac parce que c’était le concours. Ensuite j’ai commencé à m’intéresser à d’autres choses. Je n’étais pas très portée sur les sorties, mais plutôt sur les conférences et les débats, surtout à l’ULB, où il y en a sur des sujets très variés. J’ai travaillé aussi pour mon argent de poche, et pour les cours... »

Tu ne travailles pas pour payer tes études. Comment les finances tu?

« Une année, j’ai un peu trop travaillé, ça a joué négativement sur mes études. Ensuite j’ai trouvé un petit boulot dans une école primaire, ça ne me prend pas trop de temps, et j’arrive à payer la moitié de mon kot, mon père m’aide, mon oncle aussi. Donc voilà, je ne subviens pas totalement seule à mes besoins. »

Quels sont tes loisirs ? Tes hobbys ?

« Voyager! J’adore voyager. Je n’ai pas beaucoup voyagé dans mon enfance, dans mon adolescence, alors c’est vraiment quelque chose qui me rend dingue, de monter dans l’avion, et de partir. Au début c’était surtout pour découvrir, maintenant c’est davantage pour préparer des projets futurs. J’aimerais un jour, partir travailler ailleurs, et là je planifie ce départ. »

Quelles sont tes aspirations à court, à moyen et à long terme ?

« Finir ces études!!! A moyen terme : mettre de l’argent de côté pour préparer ce départ, car j’aimerais vivre en Afrique. Et à long terme : monter une entreprise, des projets là-bas. »

Plus de détails ?

« J’aime beaucoup tout ce qui est culturel, et tout ce qui concerne l’auto- suffisance des peuples. Mais je ne parle pas d’humanitaire. L’humanitaire et c’est mon avis, c’est comme les urgences : le patient vient, il est en choc, on le réhydrate, on le remplit. Il est intubé, et d’une certaine manière, il est rendu dépendant aux machines, aux médications Mais après il faut lui permettre de retrouver son autonomie, pour qu’il rentre chez lui. Et ça l’humanitaire n’y arrive pas.

Il faut combattre les barrières qui se sont mises autour des populations et qui les rendent dépendantes. Oui c’est de la politique, mais je suis née politisée.

Pour continuer dans les métaphores médicales, il y a deux catégories de médecins pour moi, le chirurgien, qui va donner le traitement, soigner, et au- dessus, il y a le médecin de santé publique qui va choisir quels sont les traitements les plus adaptés à telle ou telle situation. Je préfère la mise en scène, trouver les acteurs, les fonds. J’espère avec mon diplôme, avoir plus d’impacts dans le choix de traitement, d’installations, d’infrastructures, de gérance. »

Etre étudiant, c’est souvent considéré par les gens qui ne le sont plus, comme une période idyllique de leur vie. Et pour toi, qui est en plein blocus ?

« J’ai appris beaucoup de choses des rencontres, des cours. J’aime beaucoup ma vie d’étudiante. Il y a beaucoup de libertés. Surtout par rapport à ma famille. Mais je ne pense pas que je vais la regretter pour autant. Si je devais dire deux mots pour définir ces études : Force mentale. Force mentale avant tout, c’est ce qui me revient, quand je repense à tous mes blocus. C’est comme du sport. Il faut être enragé, endurant. Je ne pense pas avoir donné autant mentalement avant de commencer ces études. Je côtoie d’autres personnes, qui ne sont pas en médecine. Je me rends bien compte qu’on souffre, mais quand je vois les gens au chômage, en train de galérer, je relativise. C’est une souffrance qui en vaut la peine, qui est normale, parce qu’on ​​​​​​​​​​​aura un boulot, on pourra voyager partout, on pourra travailler dans n’importe quel pays du monde. C’est comme les sportifs de haut niveau, qui battent des records du monde : nous, on voit juste les 9s, alors que les mecs ont sués pendant des mois et des mois, mais ça on s’en fout.

Par contre je pense que ce qui peut briser les gens, c’est quand ils font tous ces efforts et qu’ils se rendent compte qu’ils n’aiment pas ce qu’ils font, qu’ils ne trouvent pas leur place. Alors je relativise.

Etre médecin, c’est un rêve qui n’est pas facile d’accès. Alors il y a des prétentieux, des gens hautains, qui pensent qu’après avoir traversé tout ça ils sont un peu des dieux. Alors ok, on soigne des gens, mais en même temps, il y a des gens qui risquent leur vie tous les jours, qui font des choses incroyables, et ils gardent les pieds sur terre. Il y a aussi parfois un mépris réel du patient, et je suis contente d’avoir le vécu qui est le mien, car pour moi le patient, c’est pas juste une maladie, c’est une personne dans son entièreté. Ma mère a eu des problèmes avec le Médiator®. Elle a peur des médecins aujourd’hui. J’ai un ami, en médecine aussi, qui dans son enfance a été balloté de services en services, et qui devait écouter des discours très mécaniques, il ne se sentait pas considéré comme un être avec des émotions. Bien sûr je ne mets pas tous les médecins dans le même sac, mais moi ces histoires me boostent et me poussent à me dire que je ne serai pas comme ça. »

Un message ?

« Si le chemin que la société te propose comme étant la normalité ne te plaît pas, et bien change de route. Faut jamais jouer le rôle que les autres ont décidé pour toi. Ce conformisme latent, ça peut aussi brimer les jeunes. Faut pas avoir peur d’être atypique. »

Licence photo: Meusulb2013 sur Wikimedia Commons