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Mémoire & histoire, un passé pour un futur !

13 juin 2019 - par Gloria Mukolo

© Gloria Mukolo

PARTIE I : Biographie

KETIKILA KANI-MATONDO MERVEILLE, juriste fiscaliste, né à Kinshasa le 31 octobre 1990 est étudiant en master de spécialisation Droit fiscal de l’Université Libre de Bruxelles. Merveille a fait toutes ses études au Congo (diplômé en Latin-philosophie au Collège Notre-Dame du Congo/Bosembo et détenteur d’un master 2 en Droit de l’Université Catholique du Congo).

Comme son père Antoaine Ketikila, ancien de l’Ecole Supérieure d’Aulne à Charleroi, Merveille a décidé de reprendre les études après 3 ans de vie professionnelle au sein de deux Big four (cabinets d’audit et fiscalité) en RDC. Et il a choisi la Belgique où il atterrit en 2017.

Merveille compte rentrer au Congo après ses études pour y travailler et est conscient que son séjour en Belgique est une valeur ajoutée non seulement pour sa carrière et sa vie personnelle (rencontre avec les mouvements de décolonisation de la société belge) mais également pour son pays.

Son rêve est de faire partie de cette nouvelle génération de jeunes congolais au Congo qui travaillent ardemment pour améliorer positivement les conditions de vie des habitants du pays. Les portes qui lui sont ouvertes au Congo sont encore fermées pour des millions de congolais et il estime qu’il faut que cela change. Tout en restant en contact avec la diaspora tant congolaise qu’africaine, qui selon lui a un rôle prépondérant à jouer dans le développement non seulement du Congo mais également de l’Afrique .

Espérant que les relations tumultueuses entre la RDC et la Belgique vont s’améliorer avec une nouvelle génération d’acteurs politiques qui échangent, en dehors de tout rapport paternaliste.

PARTIE II : Interview

Tu as participé à la soirée-débat portant sur le thème suivant : « A quand une histoire coloniale à l’école ? ». En tant que jeune étudiant d’origine congolaise, étais-tu déjà engagé lorsque tu habitais au Congo ?

A Kinshasa, nous sommes plusieurs à travailler en collaboration avec des écoles pour vulgariser les valeurs civiques et citoyennes auprès des jeunes. Notre association de fait, Res publica, a vu le jour en 2013. Notre objectif est d’expliquer aux élèves l’importance de la politique dans la vie de tout un chacun.  Si, la société ne s’occupe pas de la politique, celle-ci s’occupera d’elle. Toutefois, ce ne sera jamais de la manière dont la société le voudra. Il est donc important d’être des acteurs du changement afin de ne pas attendre que notre destin soit écrit pour nous. Avant de venir en Belgique, j’étais donc déjà engagé au sein de la société. Toutefois, je n’avais pas orienté notre engagement dans le cadre décolonial alors qu’il y a du travail à accomplir.

Le combat pour la reconnaissance de l’histoire coloniale doit-il selon toi, n’appartenir qu’aux  personnes d’origine congolaise ?

Dans un premier temps, il n’y aurait pas eu de colonisés sans colonisateurs. Dans un deuxième temps si on s’arrête à la Belgique on ne peut pas éluder le Ruanda-Urundi. C’est donc un double non : ce n’est donc pas uniquement le combat des Congolais. L’histoire coloniale par son système d’oppression et d’exploitation concerne toutes les personnes, qu’elles soient nées dans une gaufrerie à Liège ou dans un hôpital sous le safoutier dans le Bas-Congo, qu’elles s’appellent Gilet ou qu’on les nomme Nkani.

Le combat pour la reconnaissance de l’histoire coloniale ne peut être le monopole des Congolais, tu restes un(e) Noir(e) devant ceux qui regardent l’être humain par la couleur de sa peau, que tu sois Guinéen(ne), Congolais(e) ou Sud-africain(e). Qui plus est, nous perdrions en termes d’efficience et de force en menant cette lutte seule de manière disparate, nous répéterions encore le schéma de la division qui empêche l’unité dans le combat pour la dignité humaine.

Certes, le Congo et la Belgique sont liés par ce passé indigne mais nous oublions souvent le Rwanda et le Burundi. Eux aussi ont connu la colonisation belge avec son système divide et impera – diviser pour mieux régner – au sein de la population et nous en connaissons les conséquences meurtrières.

Il convient de rappeler aussi le soutien de tous les Africain(e)s qui ont élevé la voix pour que le système colonial non seulement belge mais également français prenne fin, puis le soutien d’hommes et de femmes en Occident qui ont dénoncé la négrophobie structurelle liée à la question coloniale au risque de devenir des parias dans la société belge. Il y avait donc aussi des résistant(e)s blanc(he)s au sein même de la société belge.

Ce serait donc très réducteur voire inintelligible de faire de ce combat une lutte uniquement congolaise.

Comment l’histoire coloniale est-elle étudiée au Congo selon toi ? Certains aspects doivent-ils aussi y être améliorés ?

Cette histoire coloniale est enseignée comme un récit d’occupation et d’exploitation. Malheureusement, les acteurs principaux restent les mêmes : les occupants. Ainsi, une confusion inconsciente dans la tête des élèves se crée, l’occupant est en même temps le bourreau et le consolateur. L’histoire de Lumumba, Kasa-Vubu et leurs compagnons est mise seulement en parallèle pour parler de l’indépendance du Congo.

Il est important de répéter aux jeunes que beaucoup de nos ancêtres n’ont jamais accepté ce système colonial, et que beaucoup d’entre eux ont perdu la vie en résistant. Les Lusinga et Paul Panda Farnana sont nombreux.

Notre histoire n’est donc pas victimaire, elle est celle des résistants pour la liberté.

En 2008, une enquête du fondateur de l’Appel pour une école démocratique[1] Nico Hirtt révélait qu’un quart des étudiants sortis de l’enseignement secondaire général belge ignorait que le Congo avait été une colonie belge. Penses-tu que l’histoire coloniale dans son ensemble est mieux connue par les jeunes étudiants du pays ?

L’enseignement de l’histoire coloniale est laissé à l’appréciation de l’enseignant qui souhaite ou pas aborder le sujet, il n’y a rien d’impératif. Rares furent les fois où j’ai échangé avec des amis qui ont fait leur cursus scolaire en Belgique et ont eu un enseignant qui a décidé de parler du sujet, la colonisation rime simplement avec l’impérialisme[2]. Les épisodes de mains coupées ou encore des zoos humains ne sont pas connus.

Par conséquent, la méconnaissance permet la transmission de cet héritage raciste au quotidien, légion sont les propos racistes présents dans les maisons, les mouvements de jeunesse, les colonies de vacances et les lieux d’instruction. C’est un ensemble de stéréotypes entretenus car non abordés et encore moins déconstruits.

Subséquemment, Léopold II reste le grand visionnaire illuminé de la Belgique.

Peux-tu nous en dire plus sur l’image que certaines personnes de ton entourage se font de l’histoire coloniale ?

Beaucoup de mes camarades d’université ignorent le passé colonial belge. Ils apprennent le lien entre les deux pays en lisant l’ancien point 3 de l’article 21 du CIR[3] belge (les revenus des fonds publics belges et des emprunts de l'ex-Congo belge qui ont été émis en exemption d'impôts belges, réels et personnels, ou de tous impôts) ou encore l’article 202, 4°. Le Congo-belge reste le lieu où les grands-parents travaillaient, où les parents sont nés. Peu connaissent les motivations de cette colonisation, les violences de ce système macabre. Il faut mettre en place un programme de fond pour décoloniser la société belge.

Enfin, cette histoire coloniale connue de tous… Utopie ou possibilité réelle ?

C’est un projet réaliste si la question de l’enseignement de l’histoire coloniale belge et de l’Afrique pour déconstruire les stéréotypes racistes et pour lutter contre la propagande coloniale, n’est plus un tabou au sein de cette société belge. Les actions allant dans le sens de la décolonisation sociétale sont importantes et la place Lumumba[4] est un bon début.

Certains peuvent rouspéter en disant que la communauté des afro-descendants reste dans la victimisation demanderesse. Ma réponse est que ces personnes doivent savoir que dès le moment où les ancêtres belges ou occidentaux ont pris la résolution de venir en Afrique pour des raisons que nul n’ignore, un pont migratoire a été créé. De ce fait, le vivre ensemble entre l'Occident  et l’Afrique est inévitable et il est donc important d’enseigner les conséquences d’un système colonial basé sur la domination afin que les nouvelles générations ne prônent pas la suprématie d’une race sur d’autres.

Tout est possible s’il y a une réelle volonté de changer positivement cette société accompagnée par des actions et décisions politiques. Ce changement de volonté ne devra pas uniquement se traduire par des pratiques différentes mais premièrement par un autre paradigme.


Gloria Mukolo
 

DEUX EXEMPLES DE RÉSISTANCE FÉMININE AU TEMPS DU ROYAUME DU KONGO :

  • ANNE NZINGA D’ANGOLA
  • KIMPA VITA

Découvrez leur incroyable histoire de résistance via les liens ci-dessous :

https://www.jeuneafrique.com/444727/societe/kimpa-vita-lespoir-kongo/

https://www.jeuneafrique.com/549021/culture/angola-anne-zingha-reine-du-ndongo-et-du-matamba/

 

Avec le soutien de la Fondation Roi Baudouin 

 


[1]« L’Appel pour une école démocratique (Aped) est un mouvement Belge de réflexion et d’action qui milite en faveur du droit de tous les jeunes d’accéder à des savoirs porteurs de compréhension du monde et à des compétences qui leur donnent force pour agir sur leur destin individuel et collectif. Il analyse et combat les mécanismes économiques, les réalités institutionnelles, les choix budgétaires, les discours idéologiques et les pratiques pédagogiques qui tendent à maintenir ou à développer l’inégalité sociale devant l’école ou à réduire l’enseignement à une fabrique de main d’œuvre productive. Ils étudient, encouragent et diffusent activement, tout ce qui remet en question l’école comme appareil de reproduction des hiérarchies sociales existantes. » http://www.skolo.org/qui-sommes-nous/
[2]Phénomène ou doctrine d'expansion et de domination collective ou individuelle.
[3]Code des impôts sur les revenus, 1992.
[4]https://www.rtbf.be/info/regions/detail_une-nouvelle-place-lumumba-a-bruxelles?id=9960511