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Massa, le voyage en point de mire

17 novembre 2015

© Steven Copias

Bien avant que la guerre civile n'éclate dans son pays, Massa était fermement décidée à visiter le monde. Comme de nombreux Syriens issus de classes moyennes ou aisées, elle a depuis plusieurs années les yeux tournés vers l'Occident. Conflits et concours de circonstances ont fait le reste : hier lycéenne à Damas, la voici aujourd'hui étudiante bruxelloise en hôtellerie. Une étape apaisante et appréciée avant, peut-être, de continuer le tour de la planète…

L’Histoire syrienne engloutie par les conflits

Massa est originaire de Damas, capitale de la Syrie. Théâtre depuis quatre ans de violents affrontements entre forces gouvernementales, groupes rebelles et appuis extérieurs, le pays a vu une grande partie de sa population fuir les hostilités. Selon le Haut-Commissariat pour les Réfugiés de l’ONU (HCR), la Syrie comptait fin 2014 plus de 7,6 millions de déplacés internes et près de 4 millions de réfugiés. Depuis l’Europe, les réfugiés sont souvent perçus comme de pauvres hères prêts à tout pour quémander un toit ou un peu de nourriture. Mais réfugié ne veut pas dire indigent et Syrien n’est par forcément synonyme de réfugié. Les combats actuels ne font qu’occulter la véritable nature de ces hommes et femmes qui composent le peuple de Massa et sont aujourd’hui victimes d’inextricables querelles politiques et religieuses.

Le territoire occupé par la Syrie actuelle a en effet vu naître l’une des civilisations les plus anciennes de l’Humanité (les Amorrites occupaient la zone aux alentours du IIIème millénaire avant Jésus-Christ) et a été occupé par une multitude de peuples. Au fil des siècles, d’innombrables communautés humaines aux cultures différentes s’y sont côtoyées et mélangées, donnant naissance à un incroyable melting-pot ethnique et religieux. Carrefour de civilisations, le pays s’est également fortement développé tout au long de son Histoire grâce au commerce international et à ses ressources agricoles et pétrolifères.

À l’heure actuelle, la Syrie compterait près de 23 millions d’habitants mais la diaspora syrienne, éparpillée sur tous les continents, représenterait selon les estimations entre 8 et 15 millions de personnes ! Même si la guerre civile est actuellement le principal facteur d’exil, la Syrie a donc eu de tout temps des liens étroits avec le reste du monde. Rien d’étonnant dès lors à ce que les Syriens, dont le pays a vécu sous protectorat français durant une bonne partie du 20ème siècle*, soient attirés par l’extérieur et aient gardé des liens privilégiés avec l’Europe.

 

De Damas à Bruxelles

Durant sa jeunesse, Massa a ainsi eu l’opportunité de visiter l’Espagne, la France ou encore les Pays-Bas. « Lorsque j’étais plus jeune explique-t-elle, j’ai visité l’Europe continentale mais je ne me voyais pas vivre ici. Beaucoup de jeunes Syriens partent étudier à l’étranger car le niveau de l’enseignement est meilleur que chez nous. Mais moi je voulais étudier au Canada, aux États-Unis ou à Londres, là où se trouvaient mes amis ». Cependant, à l’heure de faire un choix, les évènements vont précipiter les choses.

« La situation sécuritaire dans le centre de Damas, où nous vivions, était plutôt bonne mais il y avait de plus en plus de problèmes dans la périphérie. Ma mère était inquiète pour ma sœur et moi à chaque fois que nous allions à l’école où que nous sortions ».

Alors que la famille est en route vers les États-Unis pour rendre visite au frère de Massa (qui y suit des études dans le secteur de l’aviation civile), elle passe par Bruxelles et découvre la capitale européenne. « Nous avons tout de suite aimé la ville, et ma mère a décidé que nous allions essayer de nous y installer pour un temps ». Massa, qui est en classe de terminale au lycée, quitte alors la Syrie en plein milieu de l’année scolaire. Elle, sa sœur et sa mère s’installent et effectuent les démarches nécessaires pour prolonger leur visa et séjourner sur le territoire belge tandis que son père continue son travail de pilote de ligne à Dubaï.

 

Le temps de l’adaptation

Principale difficulté après l’installation, Massa n’a pas terminé sa dernière année lycéenne. Elle parvient néanmoins à être admise au Brussels Business Institute pour y suivre des études d’hôtellerie et commence des cours de français. « À l’école en Syrie nous apprenons l’arabe en première langue puis l’anglais en deuxième langue. Le français n’est que la troisième langue, j’ai une bonne base mais je dois encore progresser pour mieux parler ! » Même situation pour sa sœur, qui suivait des cours pour devenir dentiste mais réoriente ses études vers une école de gestion, faute de connaissance suffisante du francais pour un domaine aussi technique que la médecine dentaire. Les premiers mois sont difficiles et le mal du pays se fait fréquemment sentir.

« C’était à mon tour d’être inquiète pour mes amis et pour tous ceux que j’aime et que nous avons laissés en Syrie. Je prends des nouvelles tous les jours, leur demande s’ils vont bien ».  

Malgré tout Massa se fait rapidement à son nouvel environnement. « J’adore voyager, découvrir de nouveaux endroits. Je n’ai jamais eu de problème pour établir le contact, je suis comme cela depuis toute petite ! Donc je me suis rapidement fait de nouveaux amis à l’école d’hôtellerie ».  Des amis curieux bien sûr, qui questionnent Massa sur son pays et sa vie à Damas.

« Cela ne me dérange pas du tout qu’ils me posent des questions, ils sont très respectueux. J’aime leur parler de mon pays : à Damas les gens sont très amicaux aussi ! L’image que l’on a de la Syrie en ce moment n’est pas la bonne. Avant la guerre, nous recevions souvent des personnes de l’extérieur et elles adoraient toutes le pays, sa culture et son peuple ». 

 

Des cultures urbaines relativement proches

Au quotidien, Massa se sent finalement comme chez elle à Bruxelles et pas du tout montrée du doigt. « Tout est facile ici, le réseau de transport est complet et ma mère peut acheter de la nourriture partout. Nous sommes musulmans mais personne ne nous embête avec cela. J’avais beaucoup d’amis chrétiens à Damas car la Syrie est un pays très mixte, alors je suis habituée à la diversité ». À l’entendre, les différences entre une grande ville en Europe et son pendant au Proche-Orient seraient infimes. Les quelques différences du quotidien seraient au final vite oubliées par une jeunesse toujours plus au fait des conditions de vie à l’étranger. Un signe supplémentaire de l’émergence d’une culture urbaine globale ? Il y a sûrement un peu de cela, même s’il existe toutefois une distinction fondamentale que Massa expose en riant :

« Les heures de repas sont très différentes. À Damas, nous déjeunons vers 15h ou 16h, après les cours, et non pas vers midi ou 13h. Donc à midi je ne grignote que des petites choses… Mes amis me demandent toujours pourquoi je mange aussi peu au déjeuner, mais pour moi ce n’est absolument pas l’heure de manger ! ». 

Heureusement, pour changer du vol-au-vent et du stoemp, Bruxelles ne manque pas de restaurants chinois, les préférés de la jeune fille…

 

Un futur à écrire

Pour Massa, demain reste flou et dépend en partie de l’évolution de la situation dans son pays d’origine. « J’adore la sécurité que nous avons ici, je suis à l’aise et ma mère n’a pas à s’inquiéter tout le temps. Mais j’aime toujours mon pays, je l’aime énormément ! Je pense tous les jours à y retourner ». Un retour immédiat en Syrie ne constitue cependant pas sa priorité et Bruxelles ne sera certainement qu’une étape, car Massa souhaite avant tout découvrir d’autres modes de vie.

« Je suis ici pour terminer mes études, mais une fois que cela sera fait, je ne veux pas me restreindre, il y a tellement de choses à voir. J’espère avoir l’opportunité de voyager grâce à mon travail, avant de retourner en Syrie».

Un désir somme toute logique pour une jeune fille du 21ème siècle à l’aube de ses 18 printemps. L’histoire de Massa est en partie semblable à celle de tout étudiant désireux de s’affranchir pour un temps de ses origines et de se confronter à la diversité offerte par le monde, ou à celle d’un jeune professionnel à la recherche de nouveaux défis. Quel que soit le déclencheur, la découverte, le dialogue et l’enrichissement qui en découle sont des traits communs à tout type de voyage ou de rencontre. Des éléments qui nous permettent ensuite d’apprécier les choses sous un angle différent, de découvrir le voyageur sous le migrant, de discerner le travailleur sous le demandeur d’asile, de percevoir l’humain sous le réfugié… Et d’appréhender sous un jour nouveau les évènements qui se déroulent autour de nous.

 

* À lire absolument, pour toute personne désireuse de mieux comprendre l’Histoire du Proche-Orient depuis la fin du 19ème siècle, ses relations avec l’Europe et le rôle de l’Occident dans le découpage des frontières actuelles de la région, le roman de Gilbert Sinoué en 2 tomes : Le Souffle du Jasmin et Le Cri des Pierres (2010).

La ville de Damas > http://whc.unesco.org/fr/list/20

Le rapport 2014 du HCR > http://www.itele.fr/monde/video/60-millions-de-refugies-dans-le-monde-en-2014-selon-le-hcr-128494

Les données démographiques de la Banque Mondiale > https://www.google.fr/publicdata/explore?ds=d5bncppjof8f9_&met_y=sp_pop_totl&hl=fr&dl=fr&idim=country:SYR:IRQ:LBY

La diaspora syrienne > https://en.wikipedia.org/wiki/Syrian_diaspora#cite_note-15m-1