Nord/Sud
"Ils ont craqué, pas nous"
9 janvier 2020
© Antonio Gomez Garcia
Il est 16h05 quand nous arrivons au parking d’un centre commercial situé en face de "Vottem". Ici, c’est comme ça qu’on appelle le centre fermé. Une ambiance calme règne. Il fait nuageux, sombre et humide. On est samedi et une petite poignée de manifestants d’une septantaine d’années arrive. Ils s’appellent Léon, Freddy, Robert et Didier. Certains sont enseignants, l’un est un ancien pompier, un autre est agriculteur. Ça fait 20 ans qu’ils viennent ici tous les samedis après-midi de 16 à 17h. Et les 10 premières années, ils venaient même le mercredi et le samedi. Ils font partie du CRACPE et manifestent pour la fermeture des centres fermés.
Quinze minutes plus tard, France Arets, une des principales animatrices du CRACPE*, débarque, souriante. Nous prenons alors tous la direction vers un des côtés du centre dans un silence de plomb.
Soudain, France monte sur une escabelle et crie dans son mégaphone : "LIBERTÉ, SOLIDARITÉ !". Le slogan est repris par les manifestants. A l’intérieur, les "détenus" se font entendre, ils sifflent et appellent. France les rassure : "Nous sommes ici pour vous soutenir." Quelqu’un traduit en italien et un dialogue s’installe avec les "détenus".
Freddy explique : "Pendant des années, chaque fois que nous venions, une camionnette de police laissait son moteur en marche. Le centre fermé mettait des hauts parleurs avec de la musique à fond pour qu’on ne nous entende pas et qu’on ne puisse pas communiquer avec les ‘résidents’. Quelques fois, des hélicoptères tournaient."
Héritage de la résistance
Ce qui interpelle, c’est de voir ces 4-5 personnes, parfois une quinzaine, venir devant le centre fermé depuis autant d’années, chaque semaine, quelle que soit la saison. Comment expliquer cette ténacité, cette obstination ? "Je pense que c’est lié à la seconde guerre mondiale", répond Léon. "C’est un héritage de la résistance. Venir ici tous les samedis n’a rien à voir avec ce que les résistants risquaient, mais idéologiquement, c’est la même veine."
Robert, quant à lui, explique : "Mon éducation et des rencontres avec des prêtres ouvriers et les militants FGTB, qui étaient contre les guerres et le colonialisme, m’ont incité à m’engager. Je suis un militant pour les gens d’en bas." Léon poursuit : "Ce qui nous marque le plus, c’est que les gens à l’intérieur sont enfermés alors qu’ils n’ont rien fait. Les droits de l’homme, c’est du cinéma. Et le pire, c’est que les Occidentaux peuvent aller où ils veulent alors que pour les autres, c’est compliqué."
Pendant que les manifestants crient leur indignation, un couple habitant le long de "Vottem" finit, après insistance, par donner son opinion : "La présence du centre ne nous gêne pas. Par contre, les manifs oui. Chaque fois, ma maman est cloîtrée chez elle", dit l’homme. "On comprend pourquoi ils manifestent, mais ça ne change absolument rien." Un message à ceux qui viennent manifester ? "Qu’ils prennent chacun un réfugié chez eux !"
Léon et les autres ont l’habitude d’être insultés par certains passants. "Même dans mon quartier, je me fais parfois invectiver parce que je suis militant", affirme Freddy. Pourtant ils résistent. Didier nous raconte que certains voisins du centre les aident lors des actions en leur fournissant de l’électricité par exemple. "Certains gardiens nous ont déjà rendu nos échelles qui avaient été confisquées par la police. Certains policiers nous ont indiqué le chemin pour nous enfuir face à l’extrême-droite qui était venue pour nous intimider. Il y a eu aussi des infirmières venues ici pour dénoncer le système médical au centre." Aujourd’hui, les relations avec les forces de l’ordre sont devenues moins tendues.
L’après-midi touche à sa fin. Un homme promène son chien et nous dit qu’il voit ces manifestants tous les samedis. Il pense que c’est à un autre niveau que les choses doivent bouger. "Mais il faut persévérer. Des grilles comme ça, c’est inhumain. Ces manifestations, ça doit mettre du baume au cœur de ceux qui sont à l’intérieur, car ils voient que des gens pensent à eux."
Avant de partir, Léon conclut : "Quand je vois comment l’extrême-droite progresse, je ne suis pas très optimiste. Je ne pense pas que je verrai la fermeture des centres fermés de mon vivant, mais l’espoir fait vivre. On tiendra jusqu’à ce que mort s’en suive !"
Tu veux soutenir les détenus en centre fermé à Vottem près de Liège ? Voici les infos :
- Tu peux rejoindre le CRACPE chaque samedi de 16 à 17 heures devant le centre fermé de Vottem, rue Visé-Voie, 1. Ces mini-manifestations permettent d'assurer le contact et la solidarité avec les détenus. Il faut toujours téléphoner avant pour s’assurer de la présence du CRACPE sur place : 04/232.01.04 (permanence téléphonique du lundi au vendredi de 17 h à 18 h 30).
- Tu peux parrainer un détenu par des visites régulières, des communications téléphoniques, par échange de courrier.
- Tu peux contacter le CRACPE pour organiser des séances d'information sur la problématique, dans ton école, ton association, etc.
Reportage au centre fermé de Vottem réalisé par
Alfred, Jean, Pape, François, Christelle, Robert, Amélie, Jean et Liliane
Atelier d’écriture de la Voix des Sans-Papiers de Liège.
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