Nord/Sud

Humana Terre, « Travailler la terre : une leçon de résistance »

21 novembre 2013

© Photo prise par Anaïs Carton

« Pour dépasser l'exclusion sociale, il faut réunir les savoir-faire de chacun dans un projet collectif » explique Mohamed, membre du jardin collectif Humana Terre. A travers son récit, nous explorons cette dynamique inscrite dans la création d'un jardin collectif à Jette.

Un potager pour être « acteur » de la société

Faisant suite à l’échec de la campagne de régularisation de 2009 en Belgique, le collectif Sans Papier Belgique, qui revendique le respect des droits humains à l’égard des sans-papier, souhaite donner le droit aux personnes en situation irrégulière d’être « acteurs » d’une société de laquelle ils sont exclus. Ainsi, parallèlement à la lutte politique, un groupe de personnes en attente de régularisation va se constituer et réfléchir à la façon de créer un projet d’activité sociale alternatif à la lutte politique. Mohamed, qui contribue avec d’autres au jardin collectif Humana Terre, l’affirme :

« Il faut être acteur de la société et mener un projet social afin de dépasser l’exclusion sociale »

 

Un levier pour rectifier une injustice administrative

Le collectif Humana Terre s’adresse alors à l’asbl Samenlevingsopbouw, via son projet Meeting, (point d’accueil et de soutien pour les personnes en séjour irrégulier.  Meeting fait de l’accompagnement administratif pour les membres du collectif, leurs garantissant ainsi un accès à l’administration). A l’issue de visites de divers projets sociaux avec l’asbl Samenlevingsopbouw, cette dernière propose au collectif de bénéficier d’un verger abandonné à Jette, mis à disposition par la Vrij Universiteit Brussel. C’est ainsi que sans matériel, sans financement, commence le projet de jardin collectif, essentiellement basé sur la récupération.

« C’est une injustice sociale d’être exclu du bénéfice d’un droit fondamental : celui de mener des activités sociales, culturelles ou politiques. Face à cette situation,  c’est une asbl qui a rectifié une injustice administrative en nous aidant à exercer ce droit[1] »

 

Un lieu d’apprentissage et de tolérance

Si le collectif a été rassemblé autour des savoir-faire de chacun, la connaissance de la terre s’est apprise en grande partie sur le terrain, par l’observation et l’expérimentation. Les personnes réunies à Humana Terre se sont tournées vers une approche biologique de l’agriculture. Le groupe a pour cela suivi quelques formations, proposées notamment par l’asbl Le Début des haricots. Mohamed m’explique :

« Il n’y a pas que l’être humain dans la nature. Face à des obstacles naturels, on ne sait que faire. C’est donc une leçon de tolérance et de patience apprise en contact avec la terre »

 

Une comptabilité basée sur le partage

Le but du jardin collectif n’est pas économique. Dès le début, les divers produits récoltés ont été consommés lors de repas collectifs ou distribués à l’occasion de certains évènements. L’idée motrice est de donner une visibilité aux produits issus du jardin autour d’activités.

« Le côté économique n’est présent que pour garantir la continuité du projet. Dès le départ, on a fonctionné comme cela. Chacun a donné du temps, de l’argent pour concrétiser le projet. Chacun y a mis une part de lui-même. C’est ça l’économie de notre projet »

 

Un lieu de transmission et d’échange

Le collectif a mis en place des activités d’éducation pédagogique avec, entre autres, l’école primaire Pré vert située non loin du terrain. C’est l’occasion d’expliquer certains rudiments de l’agriculture biologique, mais aussi, de manière simplifiée, le projet en lui-même, et les thématiques sur lesquelles il repose. D’autres activités plus ponctuelles ont aussi pris forme : les portes ouvertes et le passage de la « Marche de solidarité avec ET sans-papiers » en 2012, l’organisation de repas à la marocaine, à la belge, à l’africaine, un week-end jus/confiture avec la récolte des arbres fruitiers, un festival en septembre 2013 sur le thème du droit à l’alimentation,... Chacune de ces rencontres constitue de fait un moyen de lutter contre l’exclusion sociale.

« Nous considérons Humana Terre comme une école pour apprendre et transmettre ce qu’on a appris »

 

Un projet porteur de justice sociale

Du travail des membres du collectif, de l’aide de bénévoles et de l’asbl Samenlevingsopbouw, des personnes en attente de régularisation se sont octroyé le droit, dans ce jardin collectif, d’en exercer d’autres fondamentaux : le droit à la protection et à l’inclusion sociale. Face aux rouages bloqués de l’administration, Humana Terre a réussi une échappée vers un peu plus de justice sociale. Une échappée qui fait voyager car comme le dit Mohamed :

« Au jardin, tu ne te sens pas au centre de Bruxelles ».

Après une première année expérimentale, le projet continue de se construire, de se définir. L’initiative a déjà donné quelques réponses renforçant les valeurs qui ont balisé la concrétisation du projet : la solidarité et l’inclusion sociale. Cependant,

« elle invite à se poser des questions au niveau de la transposition de l’arsenal juridique international, qui encadre les droits humains des personnes en situation irrégulière, au niveau national » nous rappelle Mohamed.

 

A l'époque de la mondialisation, d'un effacement progressif des frontières, le maintien de celles-ci dans les domaines politique et économique perdure. Certains sont marginalisés par la prééminence de l'Etat-nation. Dans une zone d'exclusion des droits fondamentaux, les membres du jardin collectif Humana Terre inventent de nouvelles formes de résistance…

 

Pour en savoir plus :

http://humanaterre.wordpress.com/

http://spbelgique.wordpress.com/

"Les potagers, graines de dialogue interculturel" : http://paxchristiwb.be/publications/analyses/les-potagers-graines-de-dialogue-interculturel,0000360.html

 


[1] Ayant pour seul statut celui de « sans-papier », la question qui se pose est la suivante : comment garantir l’accès aux droits fondamentaux- dont ils bénéficient en vertu de l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, notamment le droit à la formation, la liberté d’association et le droit à la sécurité sociale consacrés par les article 6, 8 et 9 du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies- à des personnes à qui l’accès à l’administration est restreint du fait de leur situation irrégulière ?