Nord/Sud
Hamed, seul en scène
20 novembre 2015
© Alexandre Delft
Hamed vit en Belgique depuis bientôt 4 ans. Avant de fuir la Syrie en 2012, il s'était déjà exilé une première fois dix ans auparavant de son pays natal, l'Irak. Ce n'était pas la guerre qu'il fuyait, celle-ci ne débutera qu'un an plus tard en 2003, mais le régime de Saddam Hussein. Hamed a fui la guerre et la mort. Il a trouvé ici un refuge, mais pas ce qu'il pourrait appeler une vie digne de ce nom.
Hamed a quarante ans. Sa corpulence rebondie semble décalquée sur les traits de sa bonhomie : ses éclats de rire et ses blagues tranchent souvent les courtes phrases dont il se sert pour nous décrire sa vie.
Comme toutes les personnes ayant vécu l’exil, arrachées comme des troncs à la terre, la vie d’Hamed est difficile, les faits sont rudes. Le récit de son existence est d’autant plus affligeant si l’on essaie d’y projeter des émotions, d’imaginer ses sentiments indicibles, ses peurs et sa solitude. Mais si l’empathie prend le dessus, elle risque alors de nous faire oublier la force de la résilience qui jaillit des passages les plus douloureux de son histoire. Pour nous le rappeler, il y a le sourire. A chacune de ses phrases défaitistes, comme écrasées par un manque de perspectives, Hamed parvient d’un soulèvement de lèvres à poser des sourires sur sa situation et à en alléger la pesanteur.
Le travail, ce serait la santé
Hamed nous a prévenu au début de notre rencontre : « Je ne parle pas très bien le français ». Il parvient cependant à comprendre et à répondre à presque toutes nos questions, faisant appel, si besoin, à un ami syrien du Centre Culturel Arabe pour traduire l’une ou l’autre idée. Bien que sa difficile maîtrise du français n’ait posé aucun problème pour notre entretien, il apparaît que c’est cette difficulté qui constitue le nœud des entraves à ses projets en Belgique.
En effet, Hamed est inscrit au CPAS et il souhaite travailler. Pour des raisons financières (800€ ne sont pas suffisants pour vivre après avoir payé tous les frais nécessaires à son logement d’environ 600€), mais surtout parce qu’il a toujours travaillé. Sans travail il se sent inutile, comme amputé de toutes les choses qu’il pourrait faire. Hamed nous le répète : il veut travailler, mais il doit d’abord apprendre le français. C’est ce qu’on lui a dit au CPAS. Le Centre Culturel Arabe a plusieurs fois demandé à pouvoir l’engager sous contrat « Article 60 », mais cela leur a été refusé pour ce motif de la langue. Hamed doit donc d’abord apprendre le français sur les bancs de l’école, « 5 jours par semaine ; de 8h du matin à 15h. ». Après, il pourra chercher un emploi.
Pour lui, c’est aberrant, « c’est pas la vie !» Il cite l’exemple de la Suède qui a fait de l’insertion professionnelle des réfugiés une priorité, considérant celle-ci comme le vecteur majeur de leur intégration sociale. Le système prévoit ainsi l’apprentissage de la langue par la pratique et de manière concomitante à leur développement professionnel.
Du théâtre irakien au théâtre des Martyrs à Bruxelles, le parcours du combattant
En Irak et en Syrie, Hamed travaillait dans le monde du cinéma et du théâtre. Acteur, comédien et décorateur, il prenait part à des pièces syriennes et irakiennes mais aussi occasionnellement à des pièces anglophones lors de festivals internationaux. La nostalgie empreint les descriptions qu’Hamed fait de sa vie en Syrie. Là-bas, il travaillait beaucoup, il avait beaucoup d’amis. S’il n’y avait pas eu la guerre, la question du départ ne se serait jamais posée.
Son arrivée en Belgique fut l’aboutissement d’un parcours du combattant : 24 jours de voyage, en bateau, à pied et en voiture. Hamed est arrivé à Bruxelles durant la nuit et a attendu le lendemain matin pour se rendre à l’Office des Etrangers. Il a ensuite passé plusieurs mois dans des centres dans l’attente de ses papiers : trois mois à Hasselt puis six mois à Herbeumont, près du Luxembourg. Une fois le droit de séjour octroyé, Hamed a vécu à Liège pendant trois mois avant de s’installer finalement à Bruxelles, le 1er janvier 2013.
En essayant de prolonger sa carrière artistique ici en Belgique, Hamed a pris conscience du manque de moyens financiers accordés au milieu et, très vite, s’est résolu à revoir ses exigences à la baisse, qu’elles soient professionnelles ou financières. En 2013, il a joué dans une pièce de théâtre, « mais gratuit, pas d’argent ». Aujourd’hui, il souhaite chercher du travail dans la décoration, dans la soudure, « n’importe quoi ».
A défaut d’un lien professionnel, Hamed cultive son attachement au théâtre par les sorties, grâce aux tickets Article 27 (lorsqu’ils sont disponibles au CPAS) qui lui permettent de fréquenter assidument les théâtres bruxellois : Espace Magh, Théâtre National, KVS, Théâtre des Martyrs.
Célibataire, Hamed aimerait rencontrer une femme. Mais, il le dit lui-même en riant, le CPAS n’est selon lui pas vraiment un atout de séduction :
« Les femmes n’acceptent pas : je suis au CPAS, donc je suis célibataire ! ».
Pour revenir à l’essentiel, Hamed relativise…
Lorsque les rires d’une de ses blagues finissent par retomber autour de la table, Hamed frappe le silence dans ses mains. Paume contre paume, elles se posent sur ses cuisses croisées. Puis, comme pour rappeler à tout le monde l’essentiel du propos, il dit :
« Ça va, ça va. Ici, il n’y a pas les guerres, il n’y a pas de problème. Ça va. »
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