Nord/Sud

Caroline Huygens: "Pour un camp de réfugiés à Calais"

9 février 2015

© Anaïs Carton

De Bruxelles à Calais, des associations se rassemblent pour réclamer le respect des droits des migrants. Les voix s'élèvent pour dénoncer l'accueil qui leur est réservé et les politiques européennes sécuritaires d'immigration. Javva, organisation d'Action Citoyenne et de Dialogue Interculturel, soutient cet appel. A Bruxelles, Caroline Huygens -administratrice de Javva- témoigne de la situation à Calais.

Mobilisation citoyenne et migrants : vers une société solidaire

Caroline Huygens, doctorante belge en sciences biomédicales et administratrice de Javva, se rend depuis plus d’une année à Calais pour soutenir deux organisations, Salam et l’Auberge des migrants, qui viennent en aide aux migrants (essentiellement préparation de repas via des dons et invendus, distribution et discussion avec les migrants). En effet, le groupe migration de Javva se rend régulièrement à Calais pour aller à la rencontre de migrants vivant dans les environs de la ville.

Nous voulons donner une autre vision que celle des médias sur la question de la migration. Si la réalité des conditions de vie des migrants à Calais est précaire, j’en reviens à chaque fois pleine d’énergie, boostée par la solidarité entre ces citoyens bénévoles et les migrants”.

 

Les institutions et l’accès aux droits économiques et sociaux : une formule en échec ?

Les pouvoirs publics sont absents dans la prise en charge des migrants depuis plus de 10 ans. En décembre 2002, le centre d'hébergement et d'accueil d'urgence humanitaire administré par la Croix-Rouge en 1999, connu sous le nom de centre de Sangatte, est fermé sous la pression du ministère britannique de David Blunket. Le ministre français de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy ordonne son démantèlement et près de 2000 migrants se retrouvent dans des conditions d’exclusion à Calais et dans le littoral voisin. Selon le ministre actuel de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, « La situation de Sangatte, c'était le désastre humanitaire, l'appel d'air pour les migrants » (le 29 août 2014 sur Europe 1).

Les pouvoirs publics pensent donc la gestion des flux migratoires sur base du présupposé que « si on accueille décemment, le nombre de migrants va se multiplier ». Pourtant, la fermeture du Centre de Sangatte n’a pas freiné le nombre d’arrivants à Calais….

 

Les initiatives de solidarité existantes à Calais

Plusieurs associations (Salam, l'Auberge des Migrants, Emmaüs, Médecins du Monde et le Secours Catholique) ont alors pris le relais afin d'aider les migrants et dénoncer cette situation de détresse. Tous les jours, quelques salariés et bénévoles organisent la distribution  du repas du soir, qui se résume au repas du jour, à 17h30 dans un terrain vague administré par la préfecture du Nord-Pas-De-Calais.

Selon Caroline,

« Toutes ces associations abattent un boulot énorme au quotidien, mais cela ne suffit pas. La situation est extrêmement tendue et il y a énormément de besoins. Tant que les gouvernements européens ne s’impliqueront pas pour permettre un accueil décent, le problème ne sera à chaque fois que déplacé ».      

                                                                             

Ouverture du Centre d’accueil Jules-Ferry pour les migrants : une réponse suffisante ?

L’ouverture du Centre Jules-Ferry, mis à disposition de l’État par la maire de Calais, Natacha Bouchart, le 15 janvier 2015, constitue un début de réponse concrète dans la lutte politique pour permettre aux migrants de sortir de la précarité et de vivre dignement. La gestion de ce centre d’accueil de jour est confiée à La Vie active, (une association qui gère 70 établissements d’hébergement dans le Pas-de-Calais) en partenariat avec les associations calaisiennes présentes auprès des migrants.

Cependant, les premiers agencements de ce projet, dont les bâtiments en dur ne seront ouverts qu’à la fin de l’hiver, en avril, semblent encore inadéquats. Il est prévu que le bâtiment accueille seulement les femmes et les enfants pendant la nuit. Le président d’Emmaüs France, Thierry Kuhn, s’en inquiète et explique que « le projet d’accueil de jour n’envisage pas le principe d’un hébergement ou d’une simple mise à l’abri pour tous les autres. Il est probable qu’ils installeront des tentes à proximité de ce centre, créant de fait un gigantesque camp de réfugiés sauvage »[1]. En effet, ce centre est construit sur le site de Tioxide, à 7 kilomètres de Calais et des grands campements environnants. Il n’est pas sûr que les migrants vont se rendre tous les jours dans ce centre éloigné pour un repas chaud.

De plus, si les associations Salam et l’Auberge des migrants sont chargées de la distribution des repas dans le centre, ils n’assureront plus la préparation des plats, confiée à une entreprise de restauration. Or, la prise en charge industrielle de ce repas sera coûteuse, alors que jusqu’à présent, la nourriture utilisée venait principalement de dons. Pour ces associations, la confection industrielle de la nourriture ne pourra être réussie que dans un projet global de prise en charge des migrants et devrait s’accompagner de transformations plus profondes.

 

Construction d’une barrière de sécurité sur le port de Calais : un mur de plus dans le monde

Un accord franco-britannique prévoit la construction d’une barrière de sécurité de 4 mètres de haut, hérissée de barbelés, sur le port français. Le but de ce mur étant d’empêcher les migrants d’atteindre le port pour embraquer vers l’Angleterre, qui a refusé de signer les accords de Schengen sur la libre circulation au sein de l’Union Européenne. Un tel projet mobilise de toute évidence une importante somme financière.  

Entre l’absence des institutions dans l’accueil quotidien des migrants et un arsenal de protection sécuritaire que la France et l’Angleterre déploient ensemble, les pouvoirs publics perpétuent l’idée que migration et insécurité sont liées. Et un récent rapport de l’ONG Human Rights Watch dénonce les allégations de mauvais traitements de la police envers les migrants à Calais[2].

Caroline Huygens estime que l’Europe néglige le fait que la situation à Calais soit le résultat de la colonisation et de l’exploitation des ressources de l’Europe dans les pays du sud. Les intérêts économiques et politiques des Etats Européens, et les guerres qui y sont liées, instrumentalisent les migrations et sont responsables de la situation à Calais.

 

Des propositions de solution fortes

Caroline reste optimiste. Ce sont les politiques migratoires des pays européens qui criminalisent les migrants et les poussent à se rendre en Angleterre. Ainsi, la France et tous les pays européens doivent ensemble, et dans le respect des droits de l’homme, revoir la réglementation en matières d’asile et d’immigration (dénonciation du règlement Dublin, de la stratégie de l’agence Frontex) et plus généralement l’analyse sécuritaire qu’ils font du phénomène de la migration.

Tant que l’Europe ne change pas sa politique de migration, il faut que les responsables du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés interviennent et construisent un camp de réfugiés à Calais. 

Car au fond, Calais, c’est juste un petit fragment de chaque camp de réfugiés dans le monde qui se retrouve là par désespoir”, rappelle Caroline.

De plus, il faut impliquer les associations de solidarité de Calais au niveau des décisions gouvernementales. Ce sont elles qui partagent au plus près le quotidien des migrants. Et qui sont à même de penser les meilleures formes de solidarité pour que les migrants cessent de vivre dans des conditions précaires et injustes.

Finalement, c’est de créer des espaces de rencontres où les migrants eux-mêmes peuvent témoigner, qui permettra une meilleure compréhension globale de la migration et des parcours de vie, ici et là-bas.

 

Pour en savoir plus :

http://www.migreurop.org/article2557.html

http://www.associationsalam.org/

http://www.laubergedesmigrants.fr/les-migrants/qui-sont-ils/

http://www.javva.org/index.php/ct-menu-item-40/ct-menu-item-46

http://www.hrw.org/fr/news/2015/01/20/france-les-migrants-et-les-demandeurs-dasile-victimes-de-violence-et-demunis