Culture
Le tag comme forme d'expression d'engagement social et politique
3 février 2014
© Halima Abdeloihed & Nora Garidi
En marge de toutes règles plus ou moins académiques ou commerciales, le graff est un univers codifié et bien plus complexe qu'un simple acte provocateur. C'est également un monde extrêmement clos, où il est difficile d'entrer en contact avec les graffeurs dès lors que l'on n'est pas du milieu. Méfiants pour la plupart, ils préfèrent rester dans l'anonymat la plus total.
Assad, 39 ans, d’origine algérienne, tagueur bruxellois au pseudonyme A7, a accepté de répondre à nos questions et de nous faire part de son expérience dans le monde du graffiti.
Le Graff: un univers vaste et diversifié
Le graff est un univers vaste et diversifié où se mêlent une multitude de techniques (aérosol, collage, pochoir) et une variété d’expressions.
Parmi ces techniques le tag et le graffiti, faisant partie d’un même ensemble, sont deux modes d’expression qui se distinguent.
Comme le souligne Assad, le tag est une signature stylisée. Un signe qui beaucoup plus accessible que le graffiti, ne requiert aucune compétence artistique particulière. Alors que le graffiti est plutôt une fresque élaborée ou un dessin, qui demande beaucoup plus de temps pour sa réalisation. Contrairement au graffiti, le tag se fait dans l’extrême urgence, et c’est pour cette raison qu’il est beaucoup plus présent dans nos milieux urbains.
Assad, lui, a choisi le tag comme moyen d’expression du fait de son accessibilité et son fort lien politique et social.
Une revendication identitaire
C’est par révolte envers certaines réalités sociales et par revendication identitaire, qu’Assad s’est dirigé et a voulu progresser dans l’univers du graffiti et du tag. A cette époque, il était en pleine crise identitaire.
En effet, ayant grandi en Belgique de parents algériens, cette appartenance biculturelle lui a parfois généré un malaise identitaire. C’est ainsi que très tôt, il a cherché à se positionner face à sa dualité culturelle, et le tag l'a beaucoup aidé dans cette quête personnelle.
« Les graffiti et les tags m’ont permis de me positionner, de me trouver une place dans cette société. Chose que je n’avais pas avant ni au niveau intra-familial, ni au niveau social ».
Vers 18 ans, Assad quitte sa famille, traîne énormément dans les rues. C’est en menant dès lors, un mode de vie proche du mouvement punk, qu’il s’est initié au tag.
« Bien que le mouvement punk ne soit pas directement associé avec le monde du tag, ils étaient en relation. Les Punks par exemple font des inscriptions, signent avec des symboles, que l’on voit dans les rues. Le tag n’est rien d’autre qu’une question d’identité. Ça m’a inspiré, m’a donné l’énergie de progresser dans ce milieu».
Notre interlocuteur précise que le tagueur met l’accent sur la visibilité et la mobilité de son pseudonyme. C’est donc pourquoi il n’est pas rare d’observer des tags un peu partout, même dans les endroits insolites (wc publics, lampadaires,etc) dès lors qu’ils sont à la vue de tous.
Le choix du pseudonyme artistique d'Assad s’est porté sur A7, qui fait écho à son prénom :
« Moi, je m'appelle Assad, avec l'accent bruxellois ça a donné « Asset » (...) [puis] A7. Et ça a fait fureur, on me lisait, on me comprenait : j'étais reconnu. Ça été une révolution pour moi, j'ai réussi à être lu et reconnu. Je voulais juste absolument être lu».
Car contrairement aux autres tagueurs, il ne voulait pas utiliser des signes cabalistiques difficiles à comprendre, mais bien être « lu, connu et reconnu par tout le monde. »
Assad nous explique ce besoin d’apposer sa signature partout dans la ville, d’être lu et reconnu par tout le monde :
« La rue est un théâtre, un pogrom, une scène. Les meubles qui habillent la rue, on se permet de les modifier. Ce qui nous intéresse, c'est d'être visibles, d'être à la portée de tous. Nous voulons une localisation qui soit à la portée de tous».
Ce besoin devenu thérapeutique, lui a permis de canaliser son agressivité dans une démarche positive de performance artistique. En reproduisant sa signature à l’identique sur différents supports, Assad cherchait à marquer sa présence face à une société dans laquelle il avait du mal à se reconnaître.
« Si tu as un souci, une mélancolie identitaire, sache que ce sont des énergies. Ces énergies peuvent être utilisées autrement que par l'alcool ou la drogue. Passer à l'action permet d’œuvrer pour sortir de ton carcan quand tu traverses une période difficile. J'ai utilisé le graffiti pour m'en sortir, sortir de mon identité, de mon quartier. Le graffiti m’a fait voyager. Ça a été une belle énergie de voir Berlin, Amsterdam, Londres… »
L’espace urbain : un support pour la mémoire en tant que trace
Les graffiti et les tags transforment l’espace urbain en un véritable tableau de mémoires. Selon A7, la mémoire en tant que trace est un aspect important du graffiti et du tag. En inscrivant les « meubles urbains », le tagueur témoigne de son passage et donc, de son existence.
« Au tout début, j'utilisais tous les supports, portes, cailloux. J'imaginais que cela allait être pour toujours, mais le mobilier urbain est modifié. Le tag est mené à disparaître naturellement. Par contre, à travers l’espace urbain, il est possible d’imprégner la mémoire de la plèbe. C'est une pérennité pour quelques décennies. Je pense que le milieu du graffiti (performance, tag, danse) appartient à la mémoire de l'humanité».
« Il m'arrive encore de sortir et de placer un petit A7 à un endroit stratégique. C'est comme cela qu'on entretient la mémoire collective ».
Le graffiti: un moyen d’expression nécessairement illicite
Bien que le graffiti soit illégal, il existe des initiatives réglementées qui l’autorisent, amenant ainsi l'artiste à prêter son talent.
Assad, lui, a été amené à travailler en collaboration avec l’autorité publique.
« Le dernier contrat que j'ai obtenu c'est un mémorial à Mario Ramos, qui fait des livres pour enfants».
Cependant, cette collaboration avec l’État n'est pas toujours bienvenue de la part des graffeurs et il existe une réelle réticence à ce que la pratique du graffiti devienne complètement légale.
« Si le graffiti était né en accord avec l’État, il aurait vécu 1 an maximum».
Le passage du graffiti sur un support légal porterait ainsi atteinte à l’essence même du graffiti. A l'instar d'Assad, beaucoup de graffeurs et tagueurs rejettent tout système de pensée basé sur la propriété privée.
Il s'agit là d'un combat politique et social entre un esprit libertaire, anarchique et une pensée basée sur l'accumulation du capital et du bien-fondé de la propriété.
«On remet en question la notion de propriété privée. [Cette approche] me donnera des problèmes plus tard, j'ai été poursuivi en justice, j’ai appris la leçon mais mes idées profondes n’ont pas changé».
« Aujourd’hui, j’ai une petite fille, j’aimerais lui apprendre à ne pas bêtement suivre le troupeau. Sortir de la masse, c’est ce que j’ai appris avec le graffiti et voilà ce que j’aimerais transmettre».
Halima Abdeloihed & Nora Garidi
Pour en savoir plus :
http://graffiti-art-on-trains.blogspot.be/2009/01/lapiower-total-respect-hip-hop-belgique.html
http://www.lezarts-urbains.be/indexin.php?homepage=yes
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