Société

L'occupation temporaire : source et vecteur de changement pour Bruxelles

11 décembre 2017

Antoine travaille chez Communa asbl. Depuis 2013, l'association a à cœur de « réhabiliter les espaces inutilisés en les mettant temporairement à disposition de projets citoyens qui y font fleurir des laboratoires de pratiques urbaines ».

A Bruxelles, il y a entre 15 000 et 30 000 bâtiments vides sur 490 000. Les raisons de cette vacance immobilière sont multiples et complexes”[1].

On note que ce sont souvent les coûts élevés de rénovation qui entraînent un abandon d'immeuble. Face à cette réalité, professionnels ou particuliers tentent de réhabiliter ces espaces vides par la création d’occupation temporaire[2], comme c’est le cas du bâtiment situé “123 rue Royale”[3]. L'occupation artisque et culturelle est aussi une forme de réhabilitation pour faire de ces immeubles vides des lieux de créativité.

Les germes du changement : immersion chez les troglodytes de Grenade

Lors d'un voyage à Grenade en 2006, Antoine côtoie une communauté troglodyte. Il se voit confronté à une nouvelle réalité, à un nouvel état d'esprit, une façon différente d'envisager les notions de besoins et de travail. Il observe des gens vivant avec peu de moyens et qui décident de diminuer leur temps de travail. Loin d'une certaine aliénation actuelle, ils vivent leur rêve, dans la simplicité. Antoine vit durant six mois avec eux. C'est une rencontre clé dans son parcours qui va nourrir ses futurs projets.

De 2011 à 2014, il se lance dans le projet d'une “maison commune”, et ouverte à tous. Il s’agit d’un lieu de vie et d'expérimentation sociale et culturelle à Ixelles. Il n'emploie pas le terme d’occupation temporaire car ce qui sous-tend le projet est l'envie de tisser des liens et des idées plutôt que l'urgence de se loger, ce qui l’emporte vers trois années d'essais, de créations et d'apprentissage d'un vivre ensemble 'alternatif'.

La vie d'Antoine est régie par une force créatrice génératrice de liens, de rencontres et d'ouvertures. Elle est aussi nourrie et favorisée par son parcours de circassien globetrotter.

En 2017, il en vient à partir à la rencontre de “Communa”[4], jeune asbl qui semble entrer en résonance avec ses propres aspirations et envies. Son parcours de vie aux multiples routes fait de lui la personne indiquée pour devenir sculpteur de projets au sein de la structure.

Changement en action

L'asbl « Communa », dont le nom est une référence au mouvement des kibboutz urbains ou encore au "communa okupas", est créée en 2013 et se donne pour mission de faire des ponts entre deux réalités de la ville actuelle : celle des bâtiments vides et celle des gens en demande de logement. Mais il n'est pas ici question de réhabiliter des immeubles en logements mais bien d'en faire des laboratoires de transition, des lieux de recherches et de découvertes.

En termes légaux, l’occupation temporaire n'a pas de définition claire dans les lois belges. Pourtant dans les faits, on la définit comme l'action d'occuper un bâtiment abandonné ou laissé vacant depuis un certain temps.

Bien souvent, dans l'imaginaire collectif, on y associe une certaine couche de la population ( sdf, sans papiers, etc.)  et tout ce qu'elle véhicule comme stéréotypes négatifs. Mais l’occupation temporaire s'avère être pour certains une nécessité face à une politique du logement qui semble parfois freiner, par de multiples tours et détours d'articles dans la loi, l'accès simple à tous à un toit.

La loi Onkelinkx de 1993 en est un bon exemple[5].

De façon très pragmatique l'occupation temporaire, est souvent bénéfique à plusieurs niveaux, Antoine parle ici de “triple win” :

Le propriétaire échappe à la taxe sur les immeubles vides qui correspond à un montant annuel de : 500 euros /m2 et voit son immeuble entretenu. La ville, quant à elle, y trouve l'opportunité de réactiver ses espaces vides ; bureaux abandonnés, habitations sociales, maisons de maître délabrées, immeubles de rapport, logements communaux et étages vides au-dessus des magasins. Enfin les occupants trouvent des espaces bon marché et dynamiques dans lesquels développer leurs projets ou se loger”.

Antoine a pu observer un changement de paradigme depuis quelques années. Certains propriétaires, eux-mêmes, proposent leurs immeubles à la réhabilitation par l'asbl Communa.

Dans le cas où un immeuble, est soit repéré soit proposé, un état des lieux est effectué pour juger du niveau de salubrité et évaluer les éventuelles modifications et réparations du bâtiment.

Pour établir un diagnostic, l'asbl crée des partenariats avec d'autres associations ce qui permet par la même occasion d’étendre le réseau et de tisser une toile solide et solidaire.

Lorsque le diagnostic est réalisé, l’asbl se concerte et décide d’entreprendre ou non la réhabilitation en fonction de différents critères dont les fonds disponibles à ce moment-là. Lorsque la décision est positive, la contribution financière se pose :

"La contribution financière est encore une occasion de bouleverser les codes. Elle est calculée sur base de la moyenne des prix à Bruxelles, c'est à dire 12 euros par m², et divisée par 6. Communa demande en général 2 euros par mètre carré pour le logement et 4 euros pour les activités. Toutefois, chaque occupant est invité à payer cette contribution de manière libre et consciente : il peut verser plus s'il estime cela juste, il peut aussi être dans l'impossibilité de le faire et paye alors en temps de travail, comme dans les Services d’Échanges Locaux. La valeur de l'argent se modifie. La contribution versée par les occupants nourrit le fond de roulement de l'asbl pour la réhabilitation de futurs bâtiments. Le temps consacré à l'autre reprend de la valeur, du sens."

En exemple, le " 123, rue Royale " est un cas d'école et a ouvert la voie à de nombreuses autres initiatives qui toutes tentent de trouver des alternatives à la crise du logement. Mais cette crise persistera si une réelle politique ne suit pas.

Occupation temporaire : une vision inclusive de la vie en ville

Nombreuses sont les personnes à vouloir briser les inégalités sociales, à résoudre partiellement la crise du logement en proposant, en innovant, en changeant les mentalités.

Antoine désire rendre pérennes ces multiples laboratoires de changement, en faire de vrais lieux d'échanges et de rapports humains, brouiller les pistes de la propriété privée et se tourner vers une vie plus riche de sens.

Les immeubles vides existeront toujours certes, mais il faut imaginer des solutions pour combler ce vide, pour revaloriser chaque espace. Et faire en sorte que la ville devienne un lieu de transition vers un monde plus lié et juste.