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Identité : une évolution perpétuelle

16 septembre 2016

© Photo fournie par Jasmina

Fille d'une mère allemande chrétienne et d'un père marocain musulman, Jasmina Kadi est athée et poursuit des études européennes à Bruxelles. Un contexte singulier pour cette jeune femme de 25 ans à la curiosité aiguisée, qui retisse le fil de ses origines en construisant pas à pas sa propre identité.

À l’origine, une nationalité et des racines lointaines

Jasmina est officiellement allemande. C’est ce qui est inscrit sur sa carte d’identité et c’est d’ailleurs ce qu’elle dit quand on lui demande d’où elle vient :

« personnellement je me sens allemande, mais le Maroc ce sont aussi mes origines, j’ai de la famille là-bas, ce sont des liens qui existent ».

Son père, issu d’un petit village marocain, a rencontré sa mère il y a un peu plus d’une vingtaine d’années. À une époque où les échanges informatiques étaient encore peu développés, ses deux parents ont surtout communiqué par lettres avant de se marier et de vivre en Europe.

Enfant, Jasmina ne prêtait pas attention à l’héritage culturel de son père et ne se sentait pas différente de ses camarades d’école. Pour elle, il était « normal que mon père soit marocain, je ne sentais pas vraiment que j’étais dans une situation particulière ». Si Jasmina n’a pas tout de suite pris conscience de ses origines métissées, c’est probablement parce que son père, d’un naturel discret et désireux de se conformer à son nouvel environnement, a voulu dès sa naissance qu’elle soit éduquée dans la culture allemande et qu’elle se forge une identité culturelle européenne.

 

La prise de conscience

Durant son enfance, Jasmina rendait souvent visite à sa famille au Maroc. Mais ce n’est qu’après quelques années d’absence qu’elle a pleinement pris conscience des différences culturelles entre l’Europe de sa mère et le Maghreb de ses racines paternelles. Vers l’âge de 16 ans, Jasmina a eu « l’impression de découvrir à nouveau le pays et sa culture. J’ai beaucoup discuté avec mes cousines, notamment de la religion, pourquoi elles portaient le hijab, est-ce qu’elles pouvaient m’expliquer tel ou tel aspect de la religion… ».

La petite fille est devenue une adolescente et a commencé à regretter certains aspects de son éducation :

« je ne me sentais pas tout à fait intégrée au Maroc, je n’avais pas les mêmes traditions et surtout je ne parlais pas l’arabe ».

Les différences avec ses jeunes cousins et cousines étaient exclusivement culturelles, et elle pouvait facilement communiquer avec eux en français, mais les échanges étaient très limités avec les membres plus âgés de sa famille.

« Quand je pense à ce manque de communication le symbole pour moi c’est ma grand-mère : elle est âgée et je ne sais pas si un jour je pourrai avoir une vraie conversation avec elle, sans interprète, sans signes. Ce serait un rêve pour moi ».

Pour enfin le réaliser, Jasmina se consacre actuellement à la découverte de la culture marocaine et de la langue arabe.

 

Une perception positive de la culture marocaine

Si Jasmina souhaite aujourd’hui parler arabe, c’est bien sûr pour pouvoir échanger avec sa famille mais également pour des raisons professionnelles et surtout parce qu’elle désire découvrir dans leur langue originale les écrits d’auteurs arabes qu’elle aime particulièrement[1]. La découverte de la culture marocaine ne se limite bien sûr pas à la langue, et à chaque séjour au Maroc Jasmina prend conscience de nouveaux aspects de la vie de tous les jours. Elle a récemment découvert « qu’il était impoli de croiser les jambes lorsque l’on est assis, ou encore de se moucher à table, des choses auxquelles on ne fait pas vraiment attention en Europe ».

Au-delà de ces détails du quotidien, Jasmina affectionne certaines valeurs de la culture marocaine. Elle note ainsi qu’il existe « beaucoup de respect entre les personnes, les différences sociales ne changent pas le comportement des gens, ce qui est moins le cas en Europe je trouve. Les Marocains ont peut-être des repères que nous avons perdus, c’est peut-être lié aussi à la religion. Ce sont en tout cas des valeurs que j’apprécie et qui pour moi relèvent du sens commun ». Avec les années, Jasmina a acquis une connaissance plus avisée de ses origines marocaines, ce qui lui donne une certaine légitimité pour en parler librement avec ses amis.

 

Le temps des questionnements

Mais même si Jasmina prend du plaisir à construire cette nouvelle facette de son identité, les évènements récents la poussent à adopter un regard plus critique sur la société marocaine et sur les conflits interculturels qui marquent notre époque. Elle fait ainsi part des relations parfois tendues au sein des familles mixtes : 

« il y a beaucoup d’amour, de chaleur dans ma famille, qui a par exemple accepté ma sœur issue d’un autre mariage. Et je sais que ce n’est pas le cas pour toutes les familles, je connais des gens qui sont exclus parce qu’ils ne parlent pas bien l’arabe ou sont trop européens ».

Les attentats des derniers mois amènent aussi Jasmina à une plus large réflexion sur la culture arabe, sur l’Islam et la religion en général. Selon elle,

« il est quasiment impossible d’évoquer la culture arabe sans parler de religion. Et sans faire d’amalgame, il faut bien se rendre compte que les attentats répondent à la logique d’une conception extrémiste de l’Islam ».

Jasmina cherche donc à approfondir ses connaissances sur le sujet, pour mieux saisir les maux des sociétés contemporaines. Elle a surtout de la peine pour ses cousines qui vivent à Paris et à Bruxelles, « qui portent le voile, vivent normalement et que les gens regardent désormais différemment quand elles prennent le métro ».

 

L’identité complexe

La petite fille allemande est donc progressivement devenue une jeune femme citoyenne du monde, « fière » de ses ascendances diverses. Mais bien qu’elle se sente « un peu plus marocaine qu’il y a quelques années », elle ne cherche pas à le revendiquer. Face à l’adversité et aux pressions subies par les communautés d’origine maghrébine en Europe, qui l’obligent à considérer sous un angle nouveau ses propres racines, Jasmina avoue ainsi « ne pas encore savoir comment réagir. Mais je pense que j’aurai plutôt tendance à encourager l’échange et la compréhension, même si c’est juste dans un cadre privé, de comprendre encore plus l’Islam et plus globalement la culture arabe ».

Bien que singulière au premier abord, l’histoire de Jasmina est commune à celle de nombreux jeunes du 21ème siècle, issus d’un monde plus que jamais interconnecté et multiculturel. Elle symbolise surtout la problématique de l’identité, cette entité complexe que d’aucuns voudraient trop souvent résumer à de simples traits de caractère, alors qu’elle est le fruit des multiples rencontres, évènements et interactions qui se succèdent au cours de la vie de chaque être humain. L’identité évolue, en permanence, se nourrit d’échanges, et ces échanges permettent la compréhension et la tolérance. C’est ce que, plus tard, Jasmina souhaite transmettre : 

« si j’ai des enfants, j’aimerais leur transmettre la langue de leur grand-père, pour que ce lien perdure ».

Une transmission qui, pour de nombreux jeunes européens issus de l’immigration, pourrait se faire au collège et au lycée si l’éventail de langues maternelles enseignées était plus varié. Enseigner l’arabe ou le turc à l’école à côté de l’anglais ou de l’allemand, un sujet tabou ? Plutôt une évolution logique pour une Europe à la croisée des cultures[2]. Inchallah !

 


[1] Naguib Mahfouz (La Belle du Caire, La trilogie du Caire), Mahmoud Darwich (La Palestine comme métaphore, Le lanceur de dés), Sahar Khalifa (L’impasse de Bab Essaha, L’héritage).

[2] Programme d’Ouverture aux Langues et aux Cultures (OLC) au sein de la FWB, la maîtrise d’une langue maternelle en complément de la langue officielle étant un fort vecteur d’identité et permettant d’apprendre plus facilement une 3ème langue. Voir aussi le Rapport 2010 des Assises de l’Interculturalité (p.43).