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Activiste LGBTQI+ : Du Burundi à Virton, récit de Jean-Daniel

29 mars 2018

© Jean-Daniel N'Dikumana

Jean-Daniel N'DIKUMANA est un activiste LGBTQI+ qui sillonne la Wallonie, et principalement la province du Luxembourg, à la rencontre des demandeurs d'asile qui souhaitent un accompagnement. Plus de la majorité des pays africains pénalisent encore aujourd'hui l'homosexualité. A travers son parcours, Jean-Daniel met en lumière et contextualise une réalité migratoire liée à l'orientation sexuelle.

“ Sur les 582 demandes d’asile traitées en 2016 pour des questions liées à l’orientation sexuelle, 252 ont débouché sur un statut de réfugié ”[1]
 

Bonjour Jean-Daniel, peux-tu nous dire quelques mots sur ton parcours?

Je m’appelle Jean-Daniel N’DIKUMANA. J’ai 31 ans. Je travaille pour le Centre d’Action Laïque au sein du service de la Maison Arc-en-Ciel de la province de Luxembourg avec des demandeurs d’asile homosexuels. Je suis originaire du Burundi où j’ai vécu jusqu’en 2013. Je suis arrivé en Belgique le 31 juillet 2013.

Au Burundi, j’étais également responsable d’un projet, financé par la Commission Européenne, qui défendait les droits des LGBTQI+.
 

Quels ont été les motifs qui t’ont fait venir en Belgique?

J’ai quitté le Burundi pour pouvoir continuer à faire mon travail de manière plus tranquille, sans avoir peur de la police, ni de la population burundaise.
 

Dans ton parcours migratoire quelles ont été les différentes étapes?

J’ai eu beaucoup de chance car j’ai eu rapidement mon statut de réfugié. J’ai reçu ma carte après seulement deux mois. Je suis d’abord resté quelques mois à Bruxelles où j’étais bénévole pour la Rainbowhouse de Bruxelles. Ensuite j’ai obtenu un poste au CAL de la Province du Luxembourg où je me suis installé.
 

En 2009, le Burundi a décidé de pénaliser l’homosexualité, comment as-tu vécu ce moment?

Effectivement, j’étais là quand cette loi est passée en avril 2009. Elle implique que lorsque tu es homosexuel(le), tu vas en prison entre 3 mois et 2 ans. Ce contexte m’a beaucoup affecté personnellement, c’est entre autres pour cette raison que j’ai décidé de demander l’asile en Belgique. J’ai vécu des persécutions par ma propre famille, qui aujourd’hui m’accepte et des agressions physiques et verbales par des voisins.

Au niveau politique, j’ai reçu des mandats d'arrêt et des ordres de quitter le territoire.
 

Y a t-il d’autres pays dont tu as connaissance qui pénalisent également l’homosexualité?

En Afrique, il y a 54 pays, et on dénombre 38 pays qui pénalisent l’homosexualité[2]. Donc ça fait plus ou moins  80% du continent africain.
 

Lorsque tu étais enfant, as-tu le souvenir que l’on parlait de l’homosexualité autour de toi?

Non, on ne parlait pas d’homosexualité. On me traitait juste de “PD”.

J’ai juste un souvenir à l’époque où j’étais à  l’école primaire, avec un ami on imitait les acteurs des séries que l’on voyait à la télé comme “Hélène et les garçons” ou “ Premier baiser”, lorsque l’enseignante nous a vus elle nous a frappés en disant que ça ne se faisait pas car ça doit être un homme avec une femme. C’est la première fois que je me souviens avoir été discriminé.

Lorsqu’on a commencé à aborder l’homosexualité, c’est lorsque les pays européens ont médiatisé le mouvement “ mariage pour tous ”[4]. C’est aussi à ce moment-là que les pays africains en réaction ont mis en place des lois contre l’homosexualité.
 

Dans le cadre de ton travail en tant qu’accompagnateur des demandeurs d’asile, encadres-tu beaucoup de personnes qui ont des parcours similaires au tien?

Les parcours sont plutôt similaires. On subit beaucoup de discriminations pareilles aux discriminations vécues par les occidentaux dans les années 80. On est rejeté par la famille, par l’entourage, le voisinage, dans son travail, partout en fait !
 

As-tu dans ton public autant d’hommes que de femmes?

Je reçois beaucoup plus d’hommes que de femmes et ce sont majoritairement des africains. L’homosexualité féminine est moins visible en Afrique, tu peux voir des femmes qui se tiennent la main sans que ça choque la population. Mon attitude, elle se remarque !

 

Comment vis-tu ton homosexualité en Belgique?

Je vis très bien mon homosexualité, je n'ai pas quitté mon pays pour venir ici me cacher ou cacher qui je suis. J’ai été très bien accueilli en Belgique. Par contre, avec la population africaine issue de l’immigration de la Province du Luxembourg , ça été un peu plus difficile. J’ai travaillé avec eux mon intégration, ils avaient besoin d’être informés sur ce qu’est l’homosexualité : ce qui est inné et pas acquis. 

Le fait donc de parler de mon orientation sexuelle a  facilité l’acceptation avec eux.

Il faut donner les informations à la population vis-à-vis de l’homosexualité car beaucoup ignorent “ pourquoi on est homosexuel ”. Ils pensent toujours que ce sont les choses que les occidentaux ont amenées alors que c’est inné. C’est donc à nous de sensibiliser et de donner l’information au grand public et à la jeunesse.
 

Selon toi, comment est-il possible d’améliorer la situation pour les personnes homosexuelles en général ?

C’est d’abord à nous les activistes africains de faire la sensibilisation, du plaidoyer et du lobbying.

Au niveau international, les Etats-Unis, l’Union Européenne, le Canada, l’Australie, etc, financent beaucoup d’activités en Afrique et ont un pouvoir d’influence sur les Etats africains. 

Lors de la semaine africaine au Parlement européen qui a eu lieu dernierement, j’ai proposé de consacrer une journée pour faire une table ronde où se rencontrent les activistes, les militants  LGBTQI+  et les présidents et ministres africains chargés des droits de l’Homme, ce qui peut permettre de visibiliser davantage le problème des discriminations en Afrique.

On ne peut pas résoudre le problème par un conflit, au contraire, on résout les problèmes par la discussion.

 


[1] https://www.micmag.be/refugies-et-homosexualite-les-affinites-selectives/, consulté le 21/03/18.

[2]http://www.lalibre.be/actu/international/l-homosexualite-en-afrique-entre-peur-et-repression-52e943263570d7514c2cc88a, consulté le 21/03/18.

[4]http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/05/17/01016-20130517ARTFIG00666-les-grandes-dates-du-mariage-pour-tous.php, consulté le 21/03/18.