Nord/Sud

« Récupération, transformation, partage » : un projet de sans-papiers

20 avril 2016

© Amandine Kech

Dans les allées cabossées du marché des Abattoirs, Oualid tire un chariot chargé de dizaines de kilos de fruits et légumes invendus. Comme tous les dimanches, avec l'aide d'une vingtaine de bénévoles, il distribue ensuite des colis alimentaires aux personnes dans le besoin. Voici l'histoire étonnante du Collectactif. Une alternative au gaspillage, une initiative de solidarité.

Rafales de vent et pluie battante balaient le marché des Abattoirs. Les clients sont moins nombreux que d’habitude mais… Les bénévoles du Collectactif, dénommés « les pirates », sont présents ! Quand le marché touche à sa fin, ils accompagnent Oualid à la rencontre des marchands prêts à donner les fruits et légumes invendus et bons à la consommation.  Ils chargent ensuite lourdement  de nombreuses palettes de pommes, céleris, choux, concombres… Les cargaisons sont ramenées à la force des bras jusqu’au local pourvu par la coordination du marché. Les fruits et légumes sont triés, groupés et enfin distribués gratuitement au moment même. Les bénévoles finissent trempés par la pluie, mais heureux du travail accompli.

«  Rien ne vaut le sourire de la dame à qui tu viens de donner un colis » me dit Oualid.   

Cette action citoyenne de lutte contre le gaspillage et de partage trouve son origine dans un groupe mis au banc de la société, privé de droits et réduit par les préjugés[1] à l’image de voleurs et de profiteurs : un collectif de sans-papiers.

 

De la lutte politique vers un projet de récupération de nourriture

Hiver 2013. Oualid est alors actif dans un groupe de lutte politique pour la régularisation des personnes sans-papiers[2]. Le groupe se réunit régulièrement au sein de l’asbl Het Anker, mais  constate que ses actions n’aboutissent pas.

Alors qu’ils ont besoin d’un nouveau souffle, le groupe de militants décide d’aider les Afghans qui occupent l’église du Béguinage et manquent de nourriture. Débrouillards, ils se rendent au marché des Abattoirs afin de récupérer des aliments qui seraient jetés… et les marchands donnent une grande quantité d’invendus ! Compotes et autres plats sont concoctés par le groupe, qui a l’idée d’en faire profiter, outre les Afghans de l’église Saint-Boniface, beaucoup plus de monde. Ils organisent donc un accueil hivernal et distribuent des plats chauds aux personnes qui fréquentent l’asbl Het Anker, aux sans –abri, aux demandeurs d’asile, aux autres sans-papiers et à toute personne qui en aurait besoin. Leur souhait est de pouvoir dire aux gens :

« Vous ne devez pas mendier, on va collecter la nourriture pour vous.» 

Où Oualid trouve-t-il le courage de s’engager ainsi pour les autres ?

« Quand je vois un sdf dans la rue et que personne ne lui donne de l’attention, ça me fait mal. Je n’ai pas été éduqué comme ça. Mes parents m’encourageaient à donner à ceux qui n’ont rien. Et puis dans la société dans laquelle j’ai grandi, il y a une chaleur humaine. Dans ma famille, l’entraide avait beaucoup d’importance. Adulte, je suis devenu un vrai capitaliste. Mais arrivé en Belgique, je me suis rendu compte que la roue tourne. Personne n’est à l’abri de devoir dormir dans la rue.  Alors je me suis souvenu des valeurs de ma famille ».

Par la suite, avec l’asbl Communa, ils organisent des tables d’hôtes les mercredis soir. Succès : ils reçoivent jusqu’à 300 personnes qui viennent déguster des plats végétariens concoctés à partir d’aliments récupérés ! Depuis lors, le Collectactif attire de nombreux bénévoles (francophones, néerlandophones et de toutes origines) et organise d’autres tables d’hôtes avec l’asbl Toestand. Suite à l’installation du camp de demandeurs d’asile dans le Parc Maximilien à Bruxelles, ils mettent en place une cuisine construite en palettes avec l’aide d’une personne sans-abri. Ils y travaillent jusqu’au démantèlement du camp. Depuis 2013, il s’agit d’une période particulièrement intense pour Oualid :

« Aux tables d’hôtes, tu trouves des chercheurs d’emploi, des sdf, des travailleurs, des sans-papiers, des étudiants : tous à la même table ! Personne n’est tenu à l’écart, il y a de la chaleur humaine.  Depuis le début du Collectactif, j’ai fait tellement de rencontres ! »

 

Sans – papiers et citoyens à part entière

Le Collectactif démontre que les personnes sans-papiers mettent en place des projets citoyens innovants qui répondent à des besoins de société cruciaux: garantir l’accès à l’alimentation pour tous, lutter contre le gaspillage, tisser du lien entre les gens, déconstruire les stéréotypes.

« Même sans-papiers, on peut être un citoyen normal, on peut mener sa vie pleinement ! » 

En effet, Oualid et les autres membres du Collectactif proposent une alternative collective au gaspillage de nourriture à Bruxelles. Dans notre capitale, 25 OOO tonnes de nourriture sont jetées chaque année[3] : on mesure donc toute l’importance d’une telle activité citoyenne. En effet, non seulement ce projet met en œuvre le droit à l’alimentation pour tous, mais de plus, prouve que des personnes sans-papiers peuvent en être les initiateurs, à l’inverse des préjugés qui circulent sur eux. Aussi, leurs actions changent le regard sur les sans-papiers. Puisqu’il ne peut pas voter, Oualid espère ainsi avoir un impact sur ceux qui votent.

 

Epilogue d’une alternative réussie

De nombreuses initiatives citoyennes trouvent leurs origines dans des groupes minorisés, précarisés, privés de droits. En effet, malgré les difficultés, ces groupes trouvent de nouveaux moyens de vivre leur vie pleinement, comme le souligne Oualid. Au lieu de laisser ces propositions innovantes dans l’ombre, mettons – les en lumière, car celles-ci sont les moteurs de notre démocratie, ce sont ces nouvelles idées qui régénèrent notre système social, économique et environnemental. Nos pouvoirs publics et tous les citoyens se doivent donc de soutenir ces individus, groupes et projets qui nous poussent à aller de l’avant !    

Les prochains projets du Collectactif ?

« Devenir une asbl à part entière et pourquoi pas, construire des meubles en palettes ! »

 


[2] «  Sans – papiers » est une dénomination apparue lors de luttes pour la régularisation des personnes en « situation illégale » dans les années 90. Désignant les personnes étrangères qui vivent en Belgique sans en avoir reçu le droit ou l’autorisation, cette dénomination met l’accent sur leur exclusion et les décharge du poids de la réprobation que suggère le vocable d’illégal ou de clandestin.  Pour une analyse passionnante du mouvement des sans-papiers voir sur le site du Centre Avec  http://www.centreavec.be/site/les-sans-papiers-en-belgique-un-%C3%A9tat-de-la-question#_ftn2

[3] 15 OOO tonnes de nourriture sont gaspillées par les ménages et 10000 par les entreprises. Voir sur le site de Bruxelles environnement : http://www.environnement.brussels/thematiques/alimentation/enjeux-et-impacts/le-gaspillage-alimentaire