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Pourquoi je demande l'asile en Belgique…

17 juillet 2013

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Un réfugié est, avant toute chose, un individu qui a été confronté à de graves difficultés dans son pays d'origine. En Europe, nous sommes tellement obnubilés par notre peur d'un raz-de-marée d'indigents et de malheureux que nous préférons parfois nous voiler la face. Cachez ces tortures, ces traitements dégradants et inhumains, ces difficultés au quotidien dont nous ne voulons rien savoir ! Les candidats à l'asile deviennent tous des affabulateurs manœuvrant habilement pour profiter des avantages offerts par nos CPAS et autres acquis sociaux.

La réalité en est évidemment bien éloignée. Partout dans le monde, des individus comme vous et moi sont confrontés, du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques, à des persécutions ou à un risque de persécution. Ces individus, s’ils ne peuvent demander la protection des autorités de leur pays, font alors parfois le choix de le fuir et deviennent alors des réfugiés.

Ces individus, au regard du droit international, peuvent obtenir une protection. C’est le droit d’asile.

A côté de cette définition abstraite, il peut être utile de mettre un visage sur une réalité – qui s’avère toujours difficile -. Un récit de vie qui permette de percevoir, de sentir une facette de ce qui se passe en amont de la demande d’asile. A Pax Christi, nous avons récemment eu l’occasion de rencontrer Wael*, un jeune demandeur d’asile. Wael est un jeune Syrien, la petite trentaine. Il est arrivé un vendredi soir dans le bureau de Pax Christi pour témoigner du calvaire qu’il avait vécu.

Quand, le 15 mars 2011, les premières manifestations sont organisées à Damas, dans la foulée du Printemps arabe, pour protester contre le régime baasiste, Wael ne s’est jamais intéressé à la politique. Depuis son enfance, on lui a appris à glorifier le nom de Bachar el-Assad et, avant lui, celui de son père, Hafez el-Assad. Chaque jour à l’école, un moment était prévu pour évoquer le génie de la famille présidentielle. Dans ce monde parfait, pourquoi s’intéresser alors à la politique ? Wael, comme beaucoup d’autres, n’y voit pas d’intérêt.

Ce manque d’intérêt n’est par ailleurs pas tout à fait innocent. La famille el-Assad tient la Syrie d’une main de fer. Aucune réunion publique, aucune manifestation n’est tolérée sans son accord. Liberté de la presse et liberté d’expression ne sont qu’illusoires. Même les prêches dans les mosquées ou les sermons dans les églises sont relus par la Sécurité de l’Etat. La mainmise des el-Assad paraît tellement incontestable qu’il vaut mieux courber la tête. La vie doit bien continuer.

Le 13 mars 2011, Bachar el-Assad fait son premier faux pas. Quinze écoliers sont arrêtés à Deraa. On leur reproche d’avoir tagué sur les murs de leur école les slogans de la révolution égyptienne qui vient alors d’obtenir la chute d’Hosni Moubarak. Jetés en prison, ils y sont torturés. Deux jours plus tard, le 15 mars 2011, une première manifestation se tient dans le centre de Damas. Cette manifestation et celles qui suivront vont changer la vie de Wael.

Des manifestants sont arrêtés, jetés en prison mais cela n’arrête pas la soudaine soif de liberté du peuple syrien. C’est l’escalade. Plus la répression est forte, plus nombreux sont les Damascènes, puis les Syriens, à rejoindre les manifestants.

Wael est taximan à Damas. Tous les jours, il parcourt la capitale syrienne. Il ne peut détourner le regard des signes évidents de la répression. Partout, des agents de la Sécurité arrêtent les jeunes pour les fouiller. Ils cherchent des tracts appelant à la manifestation. Les vexations que subissent les Damascènes se multiplient. Au loin, on entend même des fusillades. Wael s’interroge : « Pourquoi tant de violence ? »

Alors qu’il fait une course à Duma, au nord de Damas, Wael est arrêté. Fouillé sans ménagement, violenté, il prend à partie les agents de sécurité : « Nous sommes frères, pourquoi nous faire du mal les uns les autres ? » Cette expérience amène Wael à se poser de plus en plus de questions. Il interpelle ses parents, ses frères et sœurs : « Jusqu’à quand resterons-nous silencieux ? ».

Deux mois plus tard, les services de sécurité blessent l’un de ses cousins. Deux balles le touchent, une au ventre et une à la jambe. À peine arrivé à l’hôpital, il est suivi par les mêmes services. On menace d’achever le blessé. Cependant, s’il accepte de témoigner à la télévision que ses blessures lui ont été infligées par des opposants à Bachar el-Assad, on lui offrira 50.000 liras, une somme importante. Grâce à l’aide de médecins et à de généreux pots-de-vin, la famille de Wael réussit à sauver le blessé et à le ramener chez lui.

Le traumatisme est important pour chacun d’entre eux et la confiance envers le régime définitivement rompue. Wael commence à assister lui-même, malgré les risques, aux manifestations qui sont désormais organisées tous les vendredis. Il s’implique progressivement dans la rédaction de tracts, la confection de banderoles, etc.

Un jour, alors qu’il était au travail, les services secrets passent chez lui pour l’interroger. Wael prend peur et craint pour sa sécurité. Les services secrets infiltrent en effet les manifestations, photographient les personnes présentes pour les identifier. N’osant plus rentrer chez lui, il dort dans des jardins.

Malgré ses précautions, Wael est arrêté. On lui bande les yeux, attache les mains et il est emmené à la prison d’Harista où il est torturé. Ses mains attachées, mis à nu, il est pendu au plafond. On l’arrose d’eau, on l’électrocute, on le bat et on lui entaille le corps avec des objets tranchants. À chaque entaille, le bourreau précise : « Cette entaille, c’est pour que tu connaisses le vrai prix de la liberté. ». Les os d’un de ses genoux ont été brisés net.

Le séjour de Wael s’éternise à Harista. Les séances de torture se succèdent deux fois par jour. Elles prennent parfois la forme d’interrogatoires, eux aussi violents. Les agents de la sécurité veulent savoir qui sont les amis de Wael.

Les prisonniers, des hommes et des enfants, passent leur temps dans des pièces où seule la moitié d’entre eux peuvent s’asseoir. Ils sont installés au sous-sol afin qu’ils perdent toute notion du temps. La nourriture offerte est volontairement infecte et difficilement ingérable. Les conditions d’hygiène sont totalement horribles. Ainsi, ils ne peuvent rester aux toilettes que le temps que les gardes comptent jusqu’à 3. Impossible dans ces conditions de se soulager.

Un jour, une partie des prisonniers, dont Wael, est transférée dans une autre prison. Pendant le trajet, les violences continuent. Ils peuvent entendre les gardes des services secrets plaisanter entre eux : « Si nous les tuions tous et que nous les mettions ici, dans une fosse ? ». Wael croit sa dernière heure arrivée.

Arrivés dans une prison à Damas, dans le quartier de Mezzeh, ils sont installés dans des cellules par quatre. Tous les jours, ils entendent les cris des autres prisonniers torturés. Blessé au dos durant le transfert, Wael sait qu’il ne pourrait supporter une nouvelle séance de torture. À bout de force, il demande un médicament pour soulager sa douleur mais ne reçoit que des insultes des gardes.

De retour dans la première prison où il avait été détenu, Wael est finalement relâché. En tout, il est resté un mois en prison.

À sa sortie, il apprend que son père a payé une caution de 50.000 liras pour assurer sa libération. De crainte d’être arrêté, Wael ne rentre plus chez lui mais continue ses activités politiques. Les services secrets harcèlent et maltraitent sa famille. Ses parents lui conseillent alors de se réfugier à Idlib, leur région d’origine, pour échapper aux persécutions des services secrets.

Même à Idlib, Wael continue ses activités politiques mais le village de sa famille est assez vite attaqué par le gouvernement. Les manifestations inoffensives de mars 2011 ont désormais pris la forme d’une guerre civile. Tous les habitants du village se réfugient à une vingtaine de kilomètres de là, en Turquie.

Wael espère encore que la situation s’arrangera vite et que son séjour en Turquie sera court. Ses espoirs sont déçus et un retour en Syrie apparaît de plus en plus comme impossible. Après deux mois, il quitte la Turquie dans le coffre d’une voiture pour rejoindre la Belgique.

Aujourd’hui, Wael a obtenu un titre de séjour temporaire à l’Office des étrangers. Il rentrera dès qu’il le pourra en Syrie mais, entretemps, il est bien contraint de solliciter la protection de la Belgique. C’est cela, le droit d’asile.

Comme Wael, 793 Syriens ont demandé en 2012 l'asile à la Belgique, dont 102 pendant le mois de décembre. A peine 20% ont obtenu le statut de réfugié et environ 70 % celui de la protection subsidiaire. Derrière chacune de ces demandes se cache une histoire comme celle de Wael.